Droit pénal des affaires publiques

La moralisation de la vie publique est devenue un objectif incontournable pour tous les acteurs publics, et un refrain omniprésent dans la presse, dans le langage politique et au sein des tribunaux.

Sans titre (5)

De certains manquements au devoir de probité : la morale érigée en obligation

Servir la chose publique serait une mission presque sacrée, une vocation réservée à ceux qui sont suffisamment probes, presque saints,pour ne pas abuser du pouvoir qui leur est confié, au risque de provoquer la défiance et le désintérêt du peuple pour ses gouvernants, voire le despotisme et la corruption généralisée.

Cette préoccupation des pouvoirs publics pour la droiture de ses représentants, du plus grand au plus petit, ne date pas d’hier, car il semblerait, hélas ! que les hommes soient naturellement enclins à abuser de leur pouvoir, aussi limité soit-il[1].  

Les effets néfastes des abus de pouvoir ont conduit les législateurs à ériger en infractions pénales des agissements contraires à la morale publique et attentatoires à la crédibilité, et donc à l’autorité, du gouvernant[2]. Il faut bien, en effet, que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »[3].

Mais cette préoccupation semble, aujourd’hui plus que jamais, sur le devant de la scène, y compris judiciaire.

L’affaire dite « des écoutes téléphoniques » ayant donné lieu au renvoi de Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel ou la retentissante affaire de corruption ayant éclaté au sein du Parlement européen en décembre 2022 illustrent cette bataille que livrent, de longue date, les autorités judiciaires contre ce qui pourrait dévoyer les institutions publiques et la confiance qu’elles sont censées susciter.

C’est l’occasion de présenter les grandes lignes de quelques-unes de ces infractions de la vie des affaires publiques, dont les noms sont devenus presque familiers, mais qui restent délicates à distinguer : la corruption (I), le trafic d’influence (II), la prise illégale d’intérêts (III), le favoritisme (IV).

Toutes font partie d’une section du code pénal dont l’intitulé révèle bien la nature de ces infractions : « Des manquements au devoir de probité ».


A titre liminaire : sur les auteurs de ces infractions

Toutes ces infractions ont un dénominateur commun : elles incriminent des actes commis « par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public », c’est-à-dire, pour schématiser, par les serviteurs de l’Etat[4].

Cette formulation permet d’englober largement les personnes visées, qui peuvent être d’anciens présidents de la République[5], anciens ministres ou commissaires européens[6], parlementaires[7], ou plus simplement membres de conseils généraux ou municipaux, adjoints au maire, fonctionnaires de préfecture, ou même, agents de la sécurité sociale, de France Télécom ou d’EDF[8].

En pratique les condamnations les plus nombreuses concernent les élus locaux, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que les nouveaux élus « essaient, en fouillant dans la gestion de leurs prédécesseurs, de découvrir des actes d’ingérence qui leur permettront, la justice pénale aidant, d’écraser plus complètement leurs adversaires politiques »[9].

I. La corruption : un avantage indu pour obtenir un service

La corruption est un délit de pouvoir qui vise le fait, pour une personne investie de certaines fonctions, de solliciter ou d’accepter, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, un don, une offre, ou une promesse en vue d’accomplir, de retarder, ou d’omettre d’accomplir un acte entrant dans le cadre de ses fonctions, étant précisé que l’incrimination vise aussi bien le secteur public que privé[10].

La loi distingue deux types de corruption qui sont, en réalité, les deux facettes d’une même infraction :

  • Le délit de corruption active, qui vise les agissements par lesquels un tiers obtient un avantage d’une personne exerçant une responsabilité publique (ou privée). Est ainsi considéré comme corrupteur actif le chef d’entreprise qui, pour obtenir un marché public, rémunère les membres du conseil municipal. Ce délit vise le corrupteur.
  • Le délit de corruption passive, qui traduit le fait, pour une personne publique, de trafiquer sa fonction, en sollicitant ou en acceptant un don ou une promesse. Ce délit vise le corrompu.

Le pacte frauduleux entre celui qui sollicite et celui qui accepte peut être conclu « à tout moment », ce qui signifie qu’il peut être postérieur à l’octroi de l’avantage, par exemple si un responsable politique cherche une récompense pour le service rendu sans droit.

Le délit de corruption étant une infraction formelle, le résultat lui est indifférent : il n’est pas nécessaire, pour que l’infraction soit constituée, que la contrepartie promise ait été effectivement accordée, tant que l’objectif poursuivi par l’offre était proposé de mauvaise foi (« sans droit ») et en vue de l’accomplissement ou l’omission d’un acte entrant dans les fonctions du corrompu.

Qu’elle soit active ou passive, la corruption est sévèrement réprimée : jusqu’à dix ans d’emprisonnement (le maximum pour un délit) et un million d’euros d’amende, ainsi que, comme pour toutes les atteintes à la probité, des peines complémentaires dont l’inéligibilité[11].

II. Le trafic d’influence : un avantage indu pour obtenir une influence

Délit voisin de la corruption, dont il partage largement le texte d’incrimination, le trafic d’influence vise, lui aussi, deux comportements distincts, selon que l’on se place du côté de l’agent public malhonnête, ou de celui qui souhaite bénéficier de l’influence de ce dernier.

Pour un agent public, l’incrimination vise le fait d’avoir, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, sollicité ou agrée des offres, promesses, dons ou avantages quelconques pour lui-même ou pour autrui, pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés, ou toute autre décision favorable (trafic d’influence passif)[12].

S’agissant du bénéficiaire de l’influence, le texte sanctionne quiconque qui aurait, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, proposé un avantage quelconque à un agent public pour que celui-ci abuse ou parce qu’il aurait abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés, ou toute autre décision favorable (trafic d’influence actif)[13].

Là aussi, les deux auteurs doivent avoir agi de mauvaise foi et pour abuser ou avoir abusé d’une influence réelle ou supposée ; le bénéfice réel de l’opération étant, là encore, indifférent à la caractérisation du délit.

Qu’il soit actif ou passif, le trafic d’influence est puni des mêmes peines que la corruption.

III. La prise illégale d’intérêts : la persistance d’un conflit d’intérêts

Parce qu’elles sont censées servir la chose publique d’un cœur sans partage, les personnes publiques ne doivent pas être en situation de privilégier leurs intérêts aux dépens des intérêts dont elles ont la charge.

Le délit de prise illégale d’intérêts, ou délit d’ingérence, consiste donc, pour une personne publique, dans le fait « de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement »[14].

Ce délit-obstacle vise donc à empêcher qu’une situation de conflit d’intérêts apparaisse ou perdure, indépendamment des intentions réelles de l’agent, afin d’éviter non seulement que celui-ci succombe à la tentation de privilégier ses intérêts propres, mais aussi qu’un doute puisse naître dans l’esprit des administrés sur la droiture de ses actes, quand bien même ils seraient désintéressés.

Les décisions de condamnation sont nombreuses, autant parce que Montesquieu semble avoir raison[15], que parce cette incrimination est une arme redoutable et simple à utiliser par des opposants politiques ou toute personne que l’intérêt général préoccupe sincèrement[16].

Les peines prévues pour ce délit vont jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende, outre l’inéligibilité et d’autres peines complémentaires.

Les exemples typiques sont le cas d’un maire qui signe des arrêtés de nomination de membres de la famille de son directeur de cabinet[17], ou le président d’une ONG qui confie l’organisation d’actions de formation à une société dont sa femme et son fils sont gérants[18], ou celui du maire d’une commune et de l’un de ses adjoints qui participent aux délibérations et au vote du conseil municipal portant sur une modification du PLU destinée à rendre plus facilement constructible une zone sur laquelle les deux intéressés y détenaient des biens immobiliers[19].

Il est à noter que des exceptions sont prévues pour les personnes exerçant des responsabilités publiques dans les communes de 3 500 habitants au plus, et que ce délit vise également, selon des modalités un peu différentes, les personnes ayant cessé leurs fonctions publiques depuis moins de trois années et qui exerceraient dans le secteur privé (délit de pantouflage)[20].

Le favoritisme : un avantage indu envers un candidat à un marché public

Le délit de favoritisme sanctionne le fait de procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives et réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession[21].

Pour ce délit, la loi prévoit un spectre plus large d’auteurs potentiels, englobant toute personne, quel que soit son statut, qui interviendrait dans le processus d’attribution d’un marché public, sans qu’il soit déterminant qu’elle dispose effectivement d’un pouvoir de décision ou non.

L’objectif de cette incrimination est de trouver le juste équilibre entre différentes considérations : la liberté du commerce et de la commande publique, la compétitivité, mais aussi la transparence, l’égalité et la moralisation de la vie économique.

Pour simplifier, l’infraction consiste dans le fait de violer une règle encadrant les marchés publics et les contrats de concession interdisant les pratiques discriminatoires (donc garantissant la liberté d’accès et l’égalité des candidats), pour avantager ou tenter d’avantager indûment un candidat au marché.

Le bénéficiaire de l’avantage litigieux doit être un tiers, l’avantage consenti à soi-même n’entrant pas dans la qualification de favoritisme, mais de prise illégale d’intérêts.

Ici encore, il n’est pas requis, pour que l’infraction soit consommée, que l’avantage litigieux ait été obtenu dès lors qu’est caractérisée l’intention frauduleuse, assez facilement déduite des circonstances ou de la personnalité du prévenu.

Les peines peuvent aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 200 000 euros d’amende, ce montant pouvant être porté au double du produit tiré de l’infraction, outre l’inéligibilité.

Les qualifications de favoritisme et de corruption passive peuvent se cumuler et être appliquées aux mêmes faits reprochés à la même personne, dès lors qu’il s’agit de délits distincts protégeant des intérêts différents et que le principe de non-cumul des peines de même nature est respecté[22].


Une difficulté collatérale peut surgir à l’occasion de poursuites pour l’une des infractions ci-dessus : la médiatisation.

Favorisée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui protège intensément la liberté d’expression[23], la médiatisation des « affaires » est devenue presque inévitable sous la poussée d’une opinion publique réclamant toujours plus de transparence dans la vie publique et « le droit de (tout) savoir ».

Tribut payé à l’exigence de moralisation de la vie publique, ce phénomène transforme les médias, y compris bien-sûr les réseaux sociaux, en une forme habituelle de tribunal populaire « hors les murs »[24], parfois sans foi ni loi, susceptible d’entraîner des effets dévastateurs : diffamations, injures, atteintes à la vie privée, dénonciations calomnieuses, instrumentalisation politique, sans oublier l’effet de lynchage souvent démesuré permis par les réseaux sociaux.

De ces excès il faut aussi savoir se défendre, hors et dans les tribunaux : les atteintes à la probité, réelles ou supposées, ne sont jamais une raison pour faire preuve d’immoralité.

Jean-Eloi de BRUNHOFF

Avocat chargé du pôle pénal


[1] Comme le formule Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. » (MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1748)

[2] Par exemple, une ordonnance de Saint Louis de 1254 et une autre de Charles VI de 1388 interdisaient aux gouverneurs d’accomplir, dans leur province, un grand nombre d’actes susceptibles d’entraîner des abus de pouvoir, notamment emprunter, acquérir, marier leurs enfants avec des habitants de ces territoires (Daniel JOUSSE, Traité de la justice criminelle, 1771).

[3] Ibid. note 1

[4] Raison pour laquelle ces infractions sont regroupées au sein du livre IV du code pénal intitulé « Des crimes et délits contre la nation, l’Etat et la paix publique ».

[5] Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy (celui-ci étant encore, à ce jour, présumé innocent dans l’attente d’une décision définitive)

[6] Alain Juppé, Edith Cresson

[7] Comment ne pas évoquer la grande affaire qui a précipité l’avènement de lois anticorruption : le scandale de Panama, jugé par la cour d’appel de Paris en 1893, mettant en cause plus de cent parlementaires qui auraient touché d’importantes sommes d’argent, et qui se conclut notamment par la condamnation à cinq ans de prison de l’ancien ministre des Travaux publics, Charles Baïhaut.

[8] Crim. 21 janv. 1959, Bull. crim. N°59, Crim. 30 juin 2010, n°09-83.689, Crim. 29 juin 2011, n°10-86.771

[9] Y. MULLER-LAGARDE, Prise illégale d’intérêts, J.-Cl. Pénal, fasc. 20

[10] Pour le secteur public : art. 432-11, 1° (corruption passive) et 433-1, 1° (corruption active) du code pénal ; pour le secteur privé : art. 445-1 et s. du code pénal

[11] Art. 432-17 du code pénal

[12] Art. 432-11, 2° du code pénal

[13] Art. 433-1, 2° du code pénal

[14] Article 432-12 du code pénal

[15] Cf. note 1.

[16] On peut penser notamment à l’association ANTICOR.

[17] Crim., 11 mars 2014, n°12-88.312

[18] Crim., 3 avril 2007, n°06-83.801

[19] Crim., 3 avril 2019, n°18-83.599

[20] Art. 432-13 du code pénal

[21] Article 432-14 du code pénal

[22] Crim., 12 juillet 2016, n° 15-80.477

[23] Article 10 de la Convention européenne des droits d’homme

[24] S. GUINCHARD, Les procès hors les murs, in J. BEAUCHARD et P. COUVRAT (dir.), Droit civil, procédure, linguistique juridique. Ecrits en hommage à Gérard Cornu, PUF, 1994

4 milliards... C’est le nombre de personnes utilisant les réseaux sociaux quotidiennement à l’échelle mondiale, et ce, en moyenne deux heures et demie par jour.

influenceurs

En France, TikTok représente 14,9 millions d’utilisateurs par mois, quand Instagram en enregistre 22 millions, largement devancée par YouTube, avec ses 40 millions d’utilisateurs mensuels au cours de cette année 2022.

À l’ère du numérique, les réseaux sociaux constituent inexorablement, pour les entreprises, de nouveaux modes de communication marketing et commerciale leur offrant une visibilité grandissante ou renforcée via, notamment, les influenceurs.

Instagram, TikTok, YouTube, Facebook, Twitter ou encore Snapchat deviennent alors de véritables outils de publicité, comme le qualifie la Cour de cassation[1].

S’agissant de l’influenceur, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) le définit comme « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie »[2].

La Cour d’appel de PARIS (arrêt du 10 février 2021) le définit, elle, comme « une personne active sur les réseaux sociaux, qui par son statut, sa position ou son exposition médiatique est capable d’être un relai d’opinion influençant les habitudes de consommation dans un but marketing »[3].

En d’autres termes, l’influenceur est un transmetteur entre l’entreprise et sa communauté d’abonnés ou de potentiels consommateurs.

Malgré les enjeux financiers, commerciaux et marketing sous-jacents, le contrat entre l’entreprise et l’influenceur est souvent accessoire, de sorte que les litiges sont fréquents et compliqués à dénouer compte tenu des différents droits qui s’enchevêtrent.

Le présent article s’inscrit dans une volonté de présenter les spécificités de la rédaction d’un contrat conclu avec un influenceur, lorsque celui-ci intervient en tant que prestataire de services (I), ainsi que les intérêts de formaliser ces relations contractuelles (II).

Aperçu des spécificités contractuelles des relations entre un influenceur prestataire de services et une entreprise

Les relations entre un influenceur et une entreprise ne font pas l’objet d’un régime juridique propre.

Cependant, ces dernières présentent des spécificités au regard de la qualité des parties et de l’objet du contrat, notamment quant aux obligations des parties.

Un contrat intuitu personae

Le contrat conclu entre une entreprise et un influenceur est un contrat intuitu personae ce qui signifie que ce contrat est conclu en considération de la qualité des parties.

L’influenceur est choisi par l’entreprise en raison de sa personnalité et l’entreprise a un intérêt légitime à ce que la promotion de produits ou services qu’elle commercialise soit assurée par ce dernier.

Partant, la personnalité, l’image, le travail, les compétences, la créativité de l’influenceur, mais également sa communauté sur ses réseaux sociaux, son nombre d’abonnés (ou « followers »), de « vues », de « likes », de « partages » constituent des éléments déterminants dans le choix de l’entreprise.

Réciproquement, l’influenceur, en tant que prestataire de services, accepte de promouvoir les produits ou services d’une entreprise dont l’image, l’esprit et les valeurs qu’elle véhicule sont généralement en adéquation avec les siennes.

Ainsi, le contrat conclu entre un influenceur et une entreprise repose très souvent sur les qualités des parties et la confiance mutuelle qu’ils se portent.

La création de contenu, objet de l’obligation contractuelle de l’influenceur

L’influenceur a pour obligation essentielle la création de contenu destiné à promouvoir la marque, les produits (objets, vêtements…), ou les services d’une entreprise.

La création de contenu prend généralement la forme de publications, de « post » c’est-à-dire de photos, de vidéos accompagnées de textes, de prises de parole sur les comptes des réseaux sociaux de l’influenceur.

Il est ainsi nécessaire de déterminer précisément, au sein du contrat, cette prestation caractéristique, notamment dans ses modalités d’exécution.

L’influenceur, prestataire de services, bénéficie d’une très grande liberté créative dans la publication de ce contenu, sous réserve de ne pas porter atteinte à l’image de l’entreprise et de respecter les principes de protection de la vie privée et de non-discrimination.

Ces publications doivent être accompagnées de liens renvoyant à la marque ou à l’entreprise ainsi que des « hashtags ou # » faisant référence à des mots clés.

La rédaction d’un contrat permettra de définir clairement la prestation attendue, le nombre de publications, leur fréquence, le calendrier de publication de ces dernières, les supports utilisés ou encore leur nature.

La rémunération de l’influenceur

La rémunération de l’influenceur présente, elle aussi, des spécificités tenant à la nature de la prestation effectuée.

Ainsi, l’influenceur peut être rémunéré en nature par la fourniture de produits de l’entreprise pour laquelle il crée du contenu (tels que des vêtements, des produits de beauté, des accessoires), en fonction du secteur d’activité de cette dernière, ou encore par le prêt d’un de ses produits qu’il va pouvoir utiliser.

S’agissant d’une rémunération en numéraire, cette dernière peut être définie notamment en considération du contenu créé, du nombre de livrables (photos, vidéos…), de l’existence des « codes promo », du nombre de ventes enregistrées, des commissions, etc…

Il existe également un large panel de possibilités, s’agissant des modalités de règlement (avant ou après la création et la publication du contenu, périodique, fixe, commissions…).

L’identification précise du partenariat à caractère commercial, et l’absence de caractère trompeur des publications

La Loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 ainsi que les Recommandations de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité renvoyantaux dispositions générales du Code de la Chambre de Commerce Internationale sur la publicité et les relations commerciales (et plus particulièrement son article 7), prescrivent que les communications commerciales et publicitaires doivent être clairement identifiables[4].

Dans la mesure où la publication de contenu destiné à promouvoir les produits ou services d’une entreprise en contrepartie d’une rémunération de l’influenceur s’analyse en un partenariat à caractère commercial, un principe de transparence et de loyauté du message s’impose, en lien avec le texte précité.

En effet, le contenu publié par l’influenceur destiné à promouvoir les produits ou services d’une entreprise s’adresse à des consommateurs.

En conséquence, l’existence du partenariat commercial entre l’influenceur et l’entreprise doit apparaître dans le contenu publié sur ses réseaux sociaux afin que les destinataires en aient une parfaite connaissance.

Cette identification doit être explicite, claire, précise et instantanée : dès lors, le caractère commercial doit être annoncé de manière intelligible pour le consommateur auquel il s’adresse, et être suffisamment visible au sein de la publication.

Par exemple, ce partenariat pourra être identifié par les mentions « sponsorisé par @ », « #sponsorisé », « en partenariat avec @ » (étant précisé que les mentions « ad » ou encore « sp » ne sont pas considérées comme suffisamment claires et précises).

Les intérêts d’une contractualisation formelle : protection et anticipation

Le pilier des relations entretenues entre un influenceur et une entreprise réside dans la confiance mutuelle que l’un se porte à l’autre.

La rédaction d’un contrat permet donc de formaliser et régulariser cette confiance qui en constitue la raison d’être.

À tout le moins, cette confiance se retrouvera dans l’équilibre contractuel recherché dans la rédaction des clauses.

Par ailleurs, la rédaction d’un contrat a pour objectif d’anticiper les difficultés pouvant intervenir au cours de son exécution.

Outre les spécificités exposées précédemment, le contrat conclu entre un influenceur et une entreprise déterminera précisément sa durée et les modalités et conséquences de sa résiliation, la confidentialité des informations, les conditions de modification dudit contrat, la répartition des responsabilités ou encore le règlement des litiges.

La rédaction d’un tel un contrat permettra, par exemple, d’organiser une exclusivité pour l’entreprise sur certains de ses produits, l’influenceur devant alors s’abstenir de publier des photos ou vidéos sur ses réseaux vantant les mérites d’un produit concurrent.

Qui plus est, il représente à la fois une protection pour l’influenceur et réciproquement, pour l’entreprise.

Pour l’influenceur, la protection de ses droits de propriété intellectuelle constitue par exemple une autre spécificité affectant directement les relations entre un influenceur et une entreprise.

En effet, le cœur du contenu réalisé par l’influenceur et les considérations au regard desquelles il a été choisi par l’entreprise afin de promouvoir sa marque ou ses produits résident dans sa personnalité, son image, ses opinions et sa créativité.

Partant, un contrat écrit formalisera les cessions des différents droits de propriété intellectuelle dans leurs durées et étendues outre celles des droits touchant à la personnalité de l’influenceur (image, voix…).

S’agissant de la protection de l’entreprise, le contrat pourra notamment prévoir des clauses permettant de sanctionner tout comportement préjudiciable de l’influenceur tel que :

  • des publications diffamatoires portant atteinte à l’image de l’entreprise ;
  • des publications constituant une publicité trompeuse ou mensongère ;
  • le non-respect des délais de publication du contenu ;
  • la création de contenu d’une durée trop brève (à l’exclusion des stories)…

François CHOMARD, Avocat

Léa DIMECH, Avocat


[1] Civ., 1ère, 3 juill. 2013, n°12-22.633. 

[2] ARPP, Recommandation « Communication publicitaire digitale » du 3 avril 2017.

[3] CA PARIS, Pôle 5, Chambre 15, 10 févr. 2021, n°19/17548.

[4] Article 20 de la Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ; ARPP, Recommandation « Communication publicitaire numérique » version 5 entrée en vigueur, le 1er janvier 2022.

EN MATIERE DE CONCILIATION ET DE MANDAT AD HOC : SECRET PARTAGÉ, SECRET TOUT DE MEME ! (CASS. COMM. 5 OCTOBRE 2022, N°21-13.108)

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Précision jurisprudentielle sur la portée de l’obligation de confidentialité en matière de procédures préventives des difficultés des entreprises : La Cour de cassation a jugé que le principe s’impose même aux parties entre elles.

I. Contexte de la décision :

Le dirigeant de la société débitrice peut-il opposer, à l’un de ses créanciers, des échanges intervenus dans le cadre de la procédure de conciliation ?

Le 5 octobre 2022, la Cour de cassation a rendu un arrêt dans le cadre d’une affaire concernant une société de distribution bordelaise à laquelle la Société Générale a consenti une ouverture de crédit et un prêt dont le dirigeant s’est porté caution.

Quelques années plus tard, la société rencontre des difficultés financières, une procédure de conciliation est ouverte, un protocole est homologué et le dirigeant souscrit de nouveaux engagements de caution solidaire au profit de la banque.

L’exécution de l’accord de conciliation ne va pas jusque son terme, une deuxième conciliation est tentée, en vain. A la suite de ces échecs, un redressement est ouvert, lequel sera finalement converti en liquidation judiciaire.

La banque déclare sa créance, est admise au passif, et assigne en paiement le dirigeant, en sa qualité de caution.

Ce dernier formule alors une demande reconventionnelle en réparation du préjudice subi du fait du comportement prétendument fautif de la banque dans le cadre de la seconde procédure de conciliation.

Afin de prouver ladite faute, le dirigeant produit trois pièces litigieuses :

  • Un mail adressé par la banque, au conciliateur, dans lequel elle indiquait sa position ;
  • Un mail adressé par le conciliateur à l’ensemble des créanciers contenant le protocole à signer ;
  • Une attestation du conciliateur sur le déroulement de la conciliation.

La Cour d’appel de Toulouse écarte ces pièces des débats, au motif que ces éléments échangés durant la procédure de conciliation sont couverts par la confidentialité.

Se considérant bienfondé à opposer le contenu de ces pièces à la banque, le gérant de la société bordelaise se pourvoit en cassation.

En effet, ce dernier allègue que le principe de confidentialité a vocation à éviter que les tiers découvrent l’existence et le contenu des procédures de résolution amiables des difficultés des entreprises.

Néanmoins, alors même qu’elles ont déjà connaissance des informations relatives à la procédure à laquelle elles ont participé, l’obligation de confidentialité doit-elle également s’imposer aux parties entre elles ?

Dans une telle hypothèse, où chacun détient les informations et alors que la conciliation n’est plus en cours, celles-ci doivent-elles tout de même être tenues secrètes ?

Et bien oui ! Telle est la réponse de la Cour de cassation qui juge que c’est à tort que le dirigeant a considéré que, en matière de conciliation et de mandat ad hoc, l’obligation de confidentialité applicable ne s’imposerait qu’à l’égard des tiers.

Ainsi, cet arrêt précise la portée du principe de confidentialité, lequel pèse également sur les parties.

II . Une solution s’inscrivant dans l’esprit des procédures préventives de traitement des difficultés des entreprise

a. La confidentialité, un principe fondamental en la matière

L’arrêt de la Cour de cassation commenté se fonde sur l’article L611-15 du code de commerce, lequel consacre l’obligation de confidentialité en matière de procédures amiables :

« Toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ».

Ce principe est indispensable dès lors que l’initiative du recours à un mandat ad hoc ou à une conciliation appartient exclusivement à l’entreprise en difficulté, elle-même.

Or, désirant préserver l’image de leur entreprise, les dirigeants ne songeront à ces mesures préventives qu’à la condition qu’une discrétion absolue leur soit garantie.

De même, les créanciers de l’entreprise en difficultés, notamment les banques, ont tout intérêt à ce que leurs pratiques d’octroi de délais ou de remise de dettes ne soit pas révélées au grand public, au risque que d’autres clients en prennent connaissance et qu’il en découle des conséquences fâcheuses.

D’une manière générale, la recherche d’un consensus ne peut qu’être grandement facilitée par la confidentialité.

Ainsi, en tant qu’atout majeur de la conciliation et du mandat ad hoc, lequel les distingue d’ailleurs des procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires), il paraît primordial que la confidentialité soit effectivement assurée.

b. Un principe souffrant d’une dérogation unique strictement encadrée

Seule une dérogation à la confidentialité des procédure amiables est prévue par les textes.

Ce n’est que dans l’hypothèse très précise de l’ouverture d’une procédure collective dans les 18 mois suivant l’échec d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation, que la confidentialité sera levée à l’égard de l’autorité judiciaire, laquelle pourra obtenir la communication des pièces et actes relatifs à ces procédures préventives (C. comm., art. L621-1 et R.611-44).

Cette exception au principe de confidentialité est pragmatique et logique : il s’agit de permettre à la juridiction qui s’apprête à statuer sur l’ouverture d’une procédure collective, de bénéficier des informations récoltées pour appréhender plus rapidement la situation.

Il s’agit également de veiller à la pertinence du type de procédure collective sollicitée ou mise en place.

c. Une manifestation supplémentaire du souci de protection de la confidentialité par la Cour de cassation

Avant l’arrêt du 5 octobre 2022, la Cour de cassation a déjà rendu plusieurs arrêts révélateurs d’une volonté de protection de la confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation :

  • Par une décision du 22 septembre 2015, il a été jugé que, ne saurait être produite en justice, une attestation établie par le mandataire ad hoc relatant le comportement adopté par l’un des créanciers dans le cadre de la procédure de mandat ad hoc et remise à la caution du débiteur pour lui permettre de prouver la faute commise par la banque (Cass. Ch. Comm., 22 septembre 2015, 14-17.377, PB).
  • En décembre 2015, la Cour de cassation avait affirmé que la confidentialité des mesures de prévention des difficultés des entreprises emporte interdiction, pour la presse, de divulguer des informations, sauf à ce que la diffusion contribue à l’information légitime du public sur un débat d’intérêt général (Cass. Comm., 15 décembre 2015, n°14-11.500).

Ainsi, c’est dans la continuité de sa jurisprudence que la Cour de cassation précise désormais que l’obligation de confidentialité s’impose même aux parties à la procédure, y compris après la fin de la conciliation (Cass. Comm., 5 octobre 2022, n°21-13.108).

III. La limite à l’exercice des droits de la défense, un mal nécessaire

Si l’inviolabilité de principe des échanges se comprend aisément, celle-ci n’est pas sans poser de difficulté, et notamment dans le contexte dans lequel la Cour de cassation a rendu sa décision : que penser de l’opportunité d’une application aussi stricte du principe de confidentialité ?

La décision commentée pointe une difficulté dans le cadre de l’exercice des droits de la défense.

En effet, dans l’affaire jugée par la Cour, la preuve de la faute reprochée à la banque ne pouvait être rapportée par le dirigeant qu’au moyen d’éléments échangés dans le cadre de la procédure de conciliation (mails et attestation du conciliateur).

Dès lors que ces pièces, couvertes par la confidentialité, sont écartées du débat judiciaire, le dirigeant se trouve dépourvu de toute possibilité de fournir au Tribunal la preuve de la pertinence des reproches formulés à l’encontre de la banque, dont les agissements lui ont pourtant possiblement causé un préjudice.

Dans cette hypothèse, la confidentialité des procédures amiables fait obstacle à l’examen du bien-fondé des prétentions du dirigeant.

Cette situation est d’autant plus regrettable que la partie à laquelle les pièces sont opposées (la banque) a déjà connaissance de leur existence et de leur contenu, dès lors qu’elle a participé à la procédure de conciliation.

Interdire la production de ces éléments a ainsi pour effet de limiter l’exercice des droits de la défense.

Néanmoins, permettre une levée de la confidentialité dans cette hypothèse reviendrait certainement à retirer toute leur efficacité aux procédures préventives.

En effet, si les participants à une conciliation ou à un mandat ad hoc devaient craindre que le contenu de leurs échanges puisse, un jour ou l’autre, être rendus publics, aucune négociation ne pourrait être espérée et ces procédures perdraient, de facto, tout leur intérêt.

Dans le domaine de la négociation, comme dans bien d’autres, la confiance des participants est conditionnée par la garantie d’une confidentialité absolue. Nous nous en tiendrons à deux illustrations :

  • Si l’avocat n’était pas déontologiquement tenu par le secret professionnel, le justiciable éprouverait davantage de difficulté à se confier à lui ;
  • Dans la même logique, en l’absence de secret de la confession, rares seraient les personnes qui se tourneraient vers un prêtre pour se confesser.

Ainsi, quand bien même le principe de confidentialité présente un inconvénient sur le terrain des droits de la défense, il semble que ce soit un mal nécessaire à l’efficacité des procédures amiables de traitement des difficultés des entreprises.

Bernard RINEAU, avocat associé

Maëlle NGUYEN, juriste

Le domaine disciplinaire, en droit du travail, se concentre essentiellement sur la question de la validité du licenciement, eu égard à son caractère réel et sérieux.

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Il est d’ailleurs constant que la majorité des contentieux introduits par les salariés, devant le Conseil de Prud’hommes, concerne une contestation du bien-fondé des motifs de rupture du contrat de travail.

Il appartient alors à l’employeur de démontrer, à l’appui d’éléments concrets, que la mesure de licenciement est justifiée par une cause réelle et sérieuse, caractérisée soit par une faute du salarié, soit par un motif économique, soit par un motif personnel non disciplinaire, tel que l’inaptitude, ou l’insuffisance professionnelle.

Il est constant que depuis les barèmes « MACRON », prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail, un certain nombre de salariés, ayant une faible ancienneté dans l’entreprise, ont déploré une limitation de l’indemnisation de leur préjudice subi du fait d’un licenciement.

Il a alors été constaté une tendance à ce que soient ajoutées aux prétentions des salariés, devant les Conseils de Prud’hommes, des demandes relatives à l’indemnisation des préjudices dits « distincts du licenciement ».

Parmi ces préjudices distincts, figure la notion de licenciement brutal et vexatoire, laquelle renvoie non pas aux motifs qui viennent justifier le licenciement, mais aux conditions dans lesquelles ce dernier a été prononcé, ou a été exécuté.

Ainsi, dès lors que le salarié a subi un préjudice, indépendant de la rupture de son contrat de travail, du fait du comportement adopté par son employeur à son égard, dans le cadre du licenciement, celui-ci est en droit de demander réparation des dommages subis (Cass, Soc. 30 mai 1995, n°93-43.854).

Très récemment, la Cour de Cassation est venue rappeler que la cause réelle et sérieuse de licenciement, et la notion de licenciement brutal et vexatoire, étaient strictement indépendantes l’une de l’autre.

En outre, pour la Cour de Cassation, un licenciement peut donc parfaitement être justifié par une cause réelle et sérieuse, mais avoir été prononcé, ou exécuté, dans des conditions brutales et vexatoires (Cass, Soc. 16 décembre 2020, n°18-23.966).

Dans le cas d’espèce, le salarié avait été licencié pour faute grave, du fait de plusieurs vols et de consommation de drogues sur son lieu de travail.

Il convient de préciser alors que l’employeur ne s’était pas fait prier pour raconter à l’ensemble des membres du personnel, ainsi qu’à des tiers, que le salarié concerné était un voleur et un drogué, cette situation causant à ce dernier un préjudice de réputation.

Si les juges du fond ont incontestablement considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, ils ont par ailleurs rejeté la demande du salarié afférente à la reconnaissance d’un licenciement brutal et vexatoire.

Cette décision a néanmoins été censurée par la Cour de Cassation, laquelle a considéré que dès lors que le licenciement s’était déroulé dans des conditions objectivement vexatoires, le préjudice subi par le salarié devait nécessairement être indemnisé, qu’importe que l’employeur ait été parfaitement légitime à licencier celui-ci du fait de la gravité de ses manquements.

Le licenciement brutal et vexatoire renvoie dès lors à la notion civiliste « d’abus de droit » (I.).

Il nous laisse néanmoins légitimement nous interroger sur ses limites, dès lors qu’il est trop souvent instrumentalisé, aux fins de contourner la limitation de l’indemnisation du licenciement du fait des barèmes Macron (II.).

I. Le licenciement brutal et vexatoire, la consécration d’un abus dans l’exercice par l’employeur de son droit de licencier

Le droit civil a toujours admis la notion d’abus de droit qui se définit par l’exercice, d’une manière déraisonnable, d’une prérogative offerte par la réglementation.

En droit du travail, et plus particulièrement en droit du licenciement, l’abus de droit renvoie à un comportement de l’employeur, jugé indélicat et volontairement maladroit, dans l’exercice d’une procédure de licenciement.

Il s’agit, en quelque sorte, pour la jurisprudence, d’introduire une certaine morale dans le cadre de la rupture du contrat de travail, morale qui imposerait à l’employeur de ne pas porter préjudice à son salarié, au-delà de la légitime mesure de licenciement qui va s’imposer à lui.

Il est tout d’abord demandé à l’employeur, de ne pas communiquer sur les raisons qui l’ont amené à licencier le salarié, notamment lorsque les faits reprochés constituent une atteinte à son honneur (commission d’une infraction pénale, affaire de mœurs, déloyauté du salarié, etc…) (Cass, Soc. 25 février 2003, n°00-42.031).

La jurisprudence impose alors à l’employeur une certaine obligation de discrétion qui ne trouve pourtant nullement sa cause dans un engagement contractuel.

Cette position jurisprudentielle est alors critiquable, notamment lorsque les faits sont d’une telle gravité qu’il devient nécessaire pour l’employeur de communiquer en interne sur la mesure de licenciement, dans le but d’assurer une véritable transparence à l’égard de la communauté de travail, ou même de rassurer les salariés sur le départ d’un élément nuisible.

C’est le cas notamment lorsque le licenciement concerne, par exemple, un salarié qui aurait été l’auteur de faits de harcèlement sexuel, ou moral, sur les autres collaborateurs.

Ce fut également le cas dans l’affaire KERVIEL, dans laquelle la Société Générale avait été condamnée par le Conseil des Prud’hommes de PARIS, en raison de la médiatisation de l’affaire.

Il conviendra néanmoins de préciser que la Cour d’Appel de PARIS a finalement infirmé ce jugement, considérant que la médiatisation était légitime et qu’elle s’était inscrite dans une logique de transparence de la Banque, accusée d’avoir été responsable des pertes colossales enregistrées du fait des agissements de son trader salarié.

Dans le cadre de la mise en œuvre des procédures de licenciement, il est également demandé à l’employeur de ne pas humilier le salarié, en adoptant à son égard un comportement dégradant qui ne serait pas justifié par le contexte dans lequel la rupture intervient (Cass, Soc. 21 mai 2014, n°13-13.808).

Tel est le cas, par exemple, lorsque l’employeur convoque le salarié par l’intermédiaire d’un huissier de justice, alors qu’il aurait tout à fait été en mesure de se contenter d’une simple lettre recommandée.

Il est de surcroît demandé à l’employeur de ne pas accompagner la procédure de licenciement de propos blessants et agressifs, sous peine, là encore, d’engager sa responsabilité, quand bien même la mesure de licenciement est fondée, en son principe.

A également été reconnue comme étant brutale et vexatoire, la rupture du contrat de travail s’accompagnant d’une interdiction faite au salarié d’aller saluer ses collègues pour les informer de son départ (Cass, Soc. 27 septembre 2017, n°16-14.040).

Le champ du caractère brutal et vexatoire n’étant nullement limité par la jurisprudence, l’employeur doit donc rester attentif à son comportement, en adoptant, en toute circonstance, une attitude modérée et courtoise à l’égard du salarié licencié.

II. Le licenciement brutal et vexatoire, une notion bien trop souvent instrumentalisée en justice

La pratique judiciaire permet de constater que la notion de licenciement brutal et vexatoire est trop souvent instrumentalisée, aux fins notamment d’obtenir une indemnisation supplémentaire, en complément de celle obtenue du fait de la disqualification du bien-fondé du licenciement.

Ce constat a surtout été confirmé depuis l’instauration des barèmes Macron, lesquels ont eu pour effet de limiter l’indemnisation du préjudice des salariés licenciés, ayant une faible ancienneté dans l’entreprise.

Bien souvent, les praticiens du droit du travail remarquent que la demande d’indemnisation d’un préjudice pour licenciement brutal et vexatoire est confondue avec celle découlant de la rupture du contrat de travail.

Tel est le cas, par exemple, lorsque les motifs du licenciement mettent en cause l’honneur du salarié (vol, harcèlement, faits de mœurs, etc…).

La tendance est alors de considérer que les motifs adoptés par l’employeur sont en soit vexatoires.

Néanmoins, les juges du fond viennent régulièrement préciser que cette demande de reconnaissance d’un licenciement brutal et vexatoire ne devait aucunement renvoyer à la motivation du licenciement, le préjudice issu de celle-ci étant déjà indemnisé par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle est limitée par les barèmes Macron (CA de GRENOBLE, 7 avril 2022, n°20/01022).

L’autre point d’instrumentalisation réside dans les tentatives de dramatiser le contexte de la rupture du contrat de travail, pour en tirer un élément vexatoire.

Ce constat nous rappelle néanmoins que le licenciement d’un salarié est, par principe, et nécessairement, attentatoire à son ego, de sorte qu’il peut être ressenti comme vexatoire, alors même que les juges considèrent légitimement que l’employeur n’a commis aucun abus de droit.

Tel est souvent le cas lorsque le salarié est licencié pour faute grave.

En effet, dans ce type de procédures, il est courant que le salarié reçoive en main propre une convocation à un entretien préalable, avec mise à pied conservatoire avec effet immédiat, et soit amené soudainement, du jour au lendemain, à devoir quitter l’entreprise.

Dans cette situation, qui peut décemment considérer que la procédure n’est nullement vexatoire, alors que le salarié est privé de tout contact avec son entreprise, et notamment ses collègues, et qu’il se voit couper l’intégralité de ses accès informatiques ?

Pourtant, en procédant de la sorte, l’employeur ne commet aucun abus de droit, celui-ci exerçant les prérogatives prévues par le Code du travail, qui permettent d’évincer soudainement un salarié de l’entreprise, dès lors que des faits constitutifs d’une faute grave lui sont reprochés.

Se pose alors la question de l’application du principe de nécessité, lequel permet de différencier un licenciement illégitimement brutal et vexatoire, d’un licenciement pour lequel les motifs justifient une certaine violence morale à l’égard du salarié.

C’est alors au juge de se positionner au-delà de l’instrumentalisation opérée par le salarié, en analysant si la fin en justifiait les moyens, et le cas échéant, indemniser ou non le salarié en conséquence.

Comme bien souvent, en matière indemnitaire, il convient donc de prendre en compte que tout préjudice n’est pas forcément indemnisable.

C’est d’ailleurs le constat qui ressort du principe même des barèmes Macron, lesquels ont entendu instaurer une limitation de l’indemnisation du préjudice lié à la rupture du contrat de travail, en fonction de l’ancienneté du salarié.

Ce dispositif a néanmoins conduit le Comité Européen des Droits Sociaux, au début du mois d’octobre, à considérer les barèmes Macron comme contraires à la Charte Sociale Européenne.

A noter, sur ce point, que la décision du Comité n’a aucune valeur contraignante, les barèmes Macron restant pleinement applicables, notamment depuis les arrêts de la Cour de Cassation du 11 mai 2022 (n°21-15.247 et n°21-14.490).

Kévin CHARRIER, Avocat

ATTENTION : toute promesse de vente qui ne contiendrait pas un prix déterminé ou déterminable est susceptible d’être frappée de nullité.

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La Cour de cassation vient rappeler, dans un arrêt du 21 septembre 2022 (publié au Bulletin), qu’une promesse de cession d’actions est nulle si le prix de cession n’est pas déterminé ou déterminable.

Si l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable pour la validité d’une promesse de vente se trouve dans le code civil, l’intérêt de cet arrêt de la Cour de cassation est de préciser ce qu’il faut entendre par « prix déterminable ».

Dans l’affaire jugée, la promesse de cession ne prévoyait essentiellement que le plafonnement du prix de cession dans certaines hypothèses, mais pas à proprement parler une méthode qui aurait permis de le calculer précisément.

La problématique de la détermination du prix dans une promesse de cession d’actions ou de parts sociales est des plus pratiques et des plus importantes, comme l’illustre l’arrêt précité, et mérite quelques éclaircissements, à peine de risquer de perdre toute efficacité de la promesse pour cause de nullité.


Les promesses de cession de droits sociaux sont des mécanismes très utiles, généralement contenues dans les pactes d’associés, elles permettent d’anticiper les causes et les modalités de la sortie d’un associé.

L’anticipation des causes de sortie d’un associé (partielle ou totale) passe par la technique des conditions suspensives attachées à la promesse de cession d’actions ou de parts sociales, qui font connaître les événements permettant d’actionner ladite promesse de cession. Elles sont très diverses, selon leurs objectifs (droit de retrait, clause d’exclusion…).

Toutefois, et comme le montre abondamment la jurisprudence, les promesses de cession de droit sociaux, pour être efficaces, doivent prévoir un prix de cession déterminé, ou déterminable (C. civ. art. 1163 et 1591).

A défaut, elles peuvent être annulées pour indétermination du prix.

I. Un prix déterminé

La fixation d’un prix définitif (au sens de « déterminé »), au moment de la promesse de cession de droits sociaux n’est le plus souvent pas recommandé : il empêcherait de tenir compte, le jour de la cession, de l’augmentation ou de la diminution de la valeur des actions ou des parts sociales cédées.

Cet inconvénient est d’autant plus grave que la cession peut n’intervenir, le cas échéant, que longtemps après la conclusion de la promesse de cession, rendant quasiment impossible la prévision de la valeur des droits sociaux qui seront cédés.

Par ailleurs, la fixation d’un prix déterminé devra également faire l’objet d’un examen sur le fondement de la prohibition des clauses léonines.

Enfin, les enjeux fiscaux ne doivent pas non plus être sous-estimés. Par exemple, si la promesse est consentie par une société, l’administration fiscale pourrait essayer de qualifier d’acte anormal de gestion la cession effectuée en vertu d’un prix déterminé à l’avance, s’il se révélait très inférieur à la valeur réelle des droits sociaux cédés à ce moment.

L’entreprise se devrait alors de justifier de manière pertinente ce choix.

Pour autant, la fixation d’un prix déterminé peut parfois être recherchée. A titre illustratif, cela se rencontre parfois dans la négociation d’un management package – c’est le principe des stock-options : une promesse de vente à prix déterminé est consentie au bénéfice d’un dirigeant ou d’un employé d’une société.

II. Un prix déterminable

Plutôt que de prévoir un prix déterminé dans la promesse de cession d’actions ou de parts sociales, il est généralement convenu d’une méthode de détermination future du prix, laquelle sera appliquée le jour où la cession aura lieu.

Cette méthode sera déterminée en amont, pour que lors de la réalisation d’un événement entraînant la cession, le prix de cession en résultant corresponde à la valeur réelle des droits sociaux à cet instant.

Quelle que soit la méthode retenue, de la plus simple à la plus sophistiquée, le principe est que le prix doit pouvoir être fixé sans que son montant puisse dépendre de la volonté d’une des parties, ou bien que les parties aient à se mettre à nouveau d’accord (Cass. Com. 24 mars 1965).

Les critères doivent donc être précis et objectifs : l’étude des clauses admises ou refusées en jurisprudence peut s’avérer nécessaire.

Il peut encore être prudent de prévoir le recours à un expert pour prévenir les contestations résultant de la détermination du prix de cession (C. civ art. 1592 ou 1843-4).


Finalement, compte tenu des enjeux souvent très importants qui y sont attachées, il convient donc d’être très attentif à la rédaction des promesses de vente, et tout spécialement s’agissant de la détermination du prix, pour garantir sa pleine efficacité et ainsi éviter les tracas inhérents à sa remise en cause.

Mais d’autres points de vigilance sont tout aussi importants, comme la détermination de la durée de la promesse au premier chef, et les modalités de son éventuel renouvellement. En effet, en raison de la prohibition des engagements perpétuels, il convient de garder à l’esprit la possibilité de mettre fin unilatéralement à un engagement contractuel, comme l’est une promesse de vente, dans l’hypothèse où sa durée serait indéterminée.

Marc TEGNÉR

Avocat associé

Associé, actionnaire ou créancier d’une société, vous estimez avoir été victime d’une infraction commise par le dirigeant de la personne morale : quelle action pénale vous est ouverte ?

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Deux arrêts rendus sur ce sujet par la chambre criminelle de la Cour de cassation en juin 2022[1] donnent l’occasion de faire le point sur la recevabilité de la constitution de partie civile pour les délits d’abus de biens sociaux (I), abus de confiance (II), présentation de comptes infidèles (III) et banqueroute (IV).

Deux considérations doivent être rappelées afin de comprendre les différences de régime entre ces infractions voisines.

  • D’abord, l’action civile devant les tribunaux répressifs est, par principe, « un droit exceptionnel devant être strictement renfermé dans les limites fixées par les articles 2 et 3 du code de procédure pénale »[2].

Selon l’article 2 du code de procédure pénale, l’action civile n’est ouverte à une victime que si celle-ci a personnellement souffert d’un dommage directement causé par l’infraction, ce qui revient pour elle à devoir caractériser un préjudice personnel, direct et certain, comme en responsabilité civile délictuelle.

  • C’est cette règle qui permet à la jurisprudence de dégager les différentes solutions qui vont suivre, avec, il est vrai, plus ou moins d’harmonie et de clarté.

En schématisant, pour savoir si une victime est recevable à se constituer partie civile, il faut se poser les questions suivantes : qui est la victime directe de l’infraction ? la victime a-t-elle personnellement souffert de l’infraction ? Son préjudice est-il certain ?

Pour basiques que soient ces questions, les réponses, en pratique, sont loin d’être évidentes, comme le montrent la diversité des solutions retenues pour les quatre infractions ci-dessous, et le nombre considérable de décisions rendues chaque année statuant sur la seule question de la recevabilité de constitutions de partie civile – et concluant fréquemment à leur irrecevabilité.

I. Abus de biens sociaux

Le délit d’abus de biens sociaux punit le dirigeant d’une SARL ou d’une SA qui a utilisé les biens, le crédit, le pouvoir ou les voix de la société au mépris de l’intérêt de celle-ci, afin de satisfaire un intérêt personnel[3].

L’abus de biens sociaux est une atteinte à la personne morale elle-même, dont l’intérêt a été compromis par les agissements de son dirigeant.

Le but de cette incrimination est donc de protéger la personne morale contre ceux qui, paradoxalement, sont censés toujours servir ses intérêts : ses propres dirigeants.

Une application rigoureuse de l’article 2 du code de procédure pénale a conduit la Cour de cassation à rejeter systématiquement les constitutions de partie civile des associés ou actionnaires d’une société dont le patrimoine aurait été abusé par le dirigeant, quand bien même l’associé aurait souffert d’un préjudice, comme la dépréciation de ses titres sociaux ou la dévalorisation du capital social.

Dans sa décision du 9 juin 2022, la Cour de cassation rappelle sa solution de principe,[4] selon laquelle « le délit d’abus de biens sociaux, à le supposer caractérisé, n’occasionnant un dommage personnel et direct qu’à la société elle-même et non à chaque associé, la sous-valorisation des titres en résultant n’est pas susceptible de constituer pour l’associé un préjudice personnel distinct de celui supporté par la société. »

Il en ressort les conclusions suivantes :

  • Seule la société souffre directement des abus et dispose d’un intérêt à agir devant le juge pénal, la personnalité de l’associé étant, en quelque sorte, absorbée par celle de la société.
  • Le préjudice subi par l’associé n’est pas nié, mais il est jugé indirect.
  • L’associé reste recevable à se constituer partie civile s’il a subi un préjudice personnel distinct de celui de la société.

Cette solution ne manque cependant pas d’interroger en pratique.

D’abord, convenons qu’il est tout à fait improbable qu’un dirigeant agisse devant le juge pénal en sa qualité de représentant de la personne morale contre… lui-même, pour des abus qu’il aurait commis en sa qualité de dirigeant !

Le droit remédie à cette évidente contradiction en prévoyant la possibilité d’une action sociale exercée par la société à travers divers titulaires (administrateur judiciaire, liquidateur, syndic, commissaire à l’exécution du plan). Il s’agira alors de l’action sociale ut universi. De plus, en cas de carence des organes sociaux, tout associé ou actionnaire pourra exercer cette action sociale. Elle sera alors exercée ut singuli[5]. L’objectif de cette action, soumise à diverses conditions formelles, vise à obtenir réparation des préjudices subis par la société, les dommages et intérêts éventuellement octroyés devant aboutir, in fine, dans la caisse sociale.

Ensuite, s’agissant du préjudice, jugé indirect, on peut s’interroger sur la cohérence de cette position au regard de la tolérance grandissante des juridictions envers les victimes « par ricochet », et de la recevabilité de constitutions de partie civile d’un associé d’une société en nom collectif pour des faits d’abus de confiance (voir infra).

Enfin, la Cour de cassation semble laisser un espoir à l’associé d’être indemnisé si celui-ci avait subi un préjudice distinct de celui de la société, à condition néanmoins qu’il soit direct, personnel et certain.

Sur ce point, l’imagination et la persévérance des plaideurs doivent être de mise, tant la démonstration d’un tel préjudice est quasiment impossible et n’a apparemment jamais été admise par la chambre criminelle de la Cour de cassation[6].

II. Abus de confiance

Le délit d’abus de confiance réprime toute personne – et pas seulement le dirigeant – qui utilise des fonds, valeurs ou biens meubles ne lui appartenant pas, différemment de ce qui était convenu et au préjudice d’autrui – pas seulement d’une société[7].

Rien n’empêche donc qu’une société soit victime d’abus de confiance commis par son dirigeant.

Dans ce cas, la règle qui prévaut pour le délit d’abus de biens sociaux s’agissant de l’irrecevabilité de principe de la constitution de partie civile d’un associé souffre de tempéraments jurisprudentiels remarquables.

Ainsi, contrairement à l’actionnaire d’une SA ou à l’associé d’une SARL, irrecevable à se constituer partie civile du chef d’abus de biens sociaux, l’associé d’une société en nom collectif est recevable à se constituer partie civile contre son (co)gérant du chef d’abus de confiance, les détournements commis par ce dernier lui causant un préjudice direct et personnel dès lors que les associés répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales.

Ainsi, un associé co-gérant a été jugé recevable à faire valoir son préjudice résultant de la privation d’une partie des bénéfices sociaux en raison du paiement, par la société, de dépenses personnelles de son coassocié[8].

De même, la Cour de cassation a jugé qu’« un abus de confiance commis par un associé d’une société civile immobilière est susceptible de causer un préjudice direct et personnel non seulement à la société elle-même, mais aussi à un autre associé »[9].

III. Présentation de comptes infidèles

Ce délit incrimine le fait, pour le dirigeant, de présenter aux associés des comptes annuels ne donnant pas une image fidèle de l’activité de l’entreprise[10].

Les victimes directes sont donc, à l’évidence, les associés qui ont pu acquérir ou céder des titres après une présentation mensongère des comptes sociaux. Il est donc légitime qu’ils puissent se constituer partie civile de ce chef.

Spécificité notable : même un simple créancier peut se constituer partie civile pour cette infraction à l’encontre du dirigeant[11].

Ces possibilités sont loin d’être anodines : quand un associé ou créancier serait irrecevable à se constituer partie civile du chef d’abus de biens sociaux, n’ayant aucun préjudice distinct de celui subi par la société à faire valoir, il pourrait encore tenter d’invoquer le délit de présentation de comptes infidèles.

En effet, bien souvent, le dirigeant fraudeur aura dissimulé ses détournements, de sorte que ceux-ci n’apparaîtront pas en comptabilité.

La présentation d’une comptabilité ainsi maquillée permettra alors à l’associé, ou même au futur associé de se constituer partie civile et de voir son préjudice personnel réparé, le dirigeant étant susceptible d’être poursuivi en même temps pour les délits connexes d’abus de biens sociaux et de présentation de comptes infidèles[12].

IV. Banqueroute

L’infraction de banqueroute correspond au fait, pour un commerçant, de conduire intentionnellement l’affaire qu’il dirige à la faillite, selon des procédés prohibés[13].

Contrairement au délit d’abus de biens sociaux, destiné à protéger le patrimoine de la société, le délit de banqueroute[14] vise à protéger spécifiquement les créanciers contre les détournements d’actifs ou les augmentations frauduleuses du passif commis par le mandataire social.

Selon la logique de l’article 2 du code de procédure pénale, un tel créancier devrait donc pouvoir se constituer partie civile, puisqu’il souffre d’un préjudice direct et personnel résultant de la perte de sa créance.

Pourtant, la loi a prévu une liste limitative de personnes recevables à saisir la juridiction pénale du chef de banqueroute[15] (ministère public, administrateur, mandataire judiciaire, représentant des salariés, etc.), liste dont est exclu le créancier ou l’actionnaire.

Ainsi, selon un principe maintes fois réaffirmé, notamment dans l’arrêt du 22 juin 2022, la Cour de cassation a jugé que : « les créanciers et actionnaires de la société débitrice ne peuvent se constituer partie civile dans le cadre d’une procédure suivie du chef de banqueroute qu’à la condition d’invoquer un préjudice distinct du montant de leur créance déclarée dans la procédure collective ouverte contre leur débiteur ».

Cette exclusion s’explique d’abord par les principes gouvernant le droit des procédures collectives : si un créancier, après avoir déclaré sa créance, tentait d’obtenir de son côté l’indemnisation de son préjudice devant le juge correctionnel, l’égalité qui doit prévaloir entre tous les créanciers serait réduite à néant et, à la place de la discipline collective, reviendrait le chaos.

De plus, le préjudice de la victime, pour être direct et personnel, ne serait pas nécessairement certain : en cas d’apurement du passif de la société, le créancier serait désintéressé et ne serait donc plus recevable à saisir un juge pénal.

Enfin, procéder à une déclaration de créance dans le cadre d’une procédure collective équivaut à exercer une action en justice devant une juridiction civile, ce qui prive son auteur du droit de demander réparation au pénal pour les mêmes faits, en vertu de la règle una via electa[16].

Voici néanmoins quelques moyens d’action qui restent ouverts au créancier :

  • invoquer un préjudice distinct du montant de sa créance déclarée, comme un préjudice moral[17] ;
  • se constituer partie civile contre le complice du banqueroutier, lequel n’est pas protégé par la discipline collective et dont le patrimoine n’est pas le gage des seuls créanciers déclarés[18] ;
  • se constituer partie civile uniquement afin de corroborer l’action publique, sans pouvoir demander réparation pécuniaire, mais à titre vindicatif[19] ;
  • agir par l’intermédiaire du mandataire judiciaire représentant les créanciers, ou de la majorité des créanciers nommés contrôleurs agissant dans l’intérêt collectif des créanciers.

Jean-Eloi de BRUNHOFF

Avocat en charge du pôle pénal


[1] Crim. 9 juin 2022, F-D, n°21-82.545 et Crim. 22 juin 2022, F-B, n° 21-83.036

[2] Crim. 9 nov. 1992, n°92-81.432

Article 2 du code de procédure pénale (alinéa 1er) : « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. »

Article 3 du code de procédure pénale : « L’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction.

Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite. »

[3] Articles L. 241-3, 4° et L. 242-6, 3° du Code de commerce

[4] Depuis Cass. crim. 13 déc. 2000, n°99-80.387 ; Crim., 5 déc. 2001, n°01-80.065

[5] Articles L. 223-22 et L. 225-252 du code de commerce

[6] Julie Gallois, « Réflexions sur la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation en matière de recevabilité de l’action civile individuelle de l’associé », Revue des sociétés 2019 p.231

[7] Article 314-1 du code pénal

[8] Cass. crim., 10 avr. 2002, n°01-81.282

[9] Crim. 22 mars 2017, n°16-82.415 ; Crim. 25 nov. 2020, n°19-83.145

[10] Art. L 241-3 3° (pour les SARL) et L. 242-6 2° (pour les SA) du code de commerce

[11] Cass. crim., 8 mars 2006, n°05-81.153

[12] Cass. crim., 16 avril 2008, n°07-84.713 (associé) ; Crim., 21 novembre 2012, n°11-87.922 (futur associé)

[13] Voir Jean-Eloi de BRUNHOFF et Bernard RINEAU « Les infractions relatives aux entreprises en difficulté (I) : la banqueroute »

[14] Articles L654-1 et suivants du code de commerce 

[15] Article L654-17 du code de commerce

[16] Article 5 du code de procédure pénale

[17] Cass. crim., 30 mai 1994

[18] Cass. crim. 11 oct. 1993, n° 92-81.260

[19] Cass. crim., 6 janv. 1992, n°90-83.097 ; Crim., 23 janv. 2008, n°07-82.174

L’inaptitude physique du salarié est une situation bien souvent perçue par les employeurs comme particulièrement risquée, notamment lorsque celle-ci conduit au licenciement du salarié, faute de solution de reclassement pouvant être trouvée dans l’entreprise ou le Groupe.

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Paradoxalement, la jurisprudence est ainsi venue faire peser sur l’employeur un important risque financier attenant à la procédure de licenciement pour inaptitude, alors même que cette dernière découle d’une situation tout à fait étrangère à l’entreprise, l’inaptitude renvoyant en réalité à une impossibilité pour le salarié d’exécuter ses fonctions en raison de son état de santé.

L’employeur doit alors veiller au respect d’un formalisme strict.

Outre le fait de devoir se conformer aux prescriptions du Médecin du travail relatives à un éventuel aménagement de poste, l’employeur va également devoir communiquer avec les élus du personnel de l’entreprise (les membres du CSE) sur les solutions de reclassement pouvant être proposées au salarié, par l’intermédiaire de la procédure d’information consultation.

La consultation des élus est donc devenue une étape incontournable de la procédure de licenciement pour inaptitude.

Sur ce point, la jurisprudence est même venue préciser que cette consultation était obligatoire, même lorsqu’aucune solution de reclassement ne pouvait être proposée au salarié, faute de poste disponible dans l’entreprise (Cass, Soc. 30 septembre 2020, n°19-16.488).

A défaut d’avoir consulté les élus, l’employeur s’expose alors à ce que le licenciement soit reconnu par le juge comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.


L’évolution des modes de travail a néanmoins modifié quelque peu les formes d’inaptitudes pouvant être subies par les salariés, de sorte que de nouvelles maladies, à l’instar du « burn out », ont conduit les Médecins du travail à prononcer de plus en plus souvent des inaptitudes définitives, en excluant de mettre à la charge de l’employeur une obligation de reclassement dans l’entreprise ou le Groupe, eu égard à l’état de santé dégradé du salarié.

Dans cette hypothèse, nul ne sert alors de rechercher une solution de reclassement ou d’aménagement de poste, le salarié pouvant être directement licencié dans les jours qui suivent la reconnaissance de l’inaptitude (Article L.1226-2-1 du Code du travail).

Se pose néanmoins la question de l’obligation faite à l’employeur de consulter les élus du personnel dans cette situation, lorsque le Médecin du travail a expressément exclu toute solution de reclassement.

En effet, très curieusement, le législateur n’a pas entendu, dans cette hypothèse, exonérer expressément l’employeur de son obligation d’information consultation… alors même que cette procédure, à défaut de reclassement possible, est parfaitement dépourvue d’objet. 

Durant des années, les praticiens du droit du travail ont donc été contraints de naviguer à l’aveugle, préférant dans le silence des textes, ne prendre aucun risque.

C’est ainsi que même lorsque le Médecin du travail dispensait l’employeur de reclasser son salarié, il était vivement conseillé à celui-ci de procéder quand même à une information consultation des élus.

Ce qui était donc absurde.

C’était sans compter l’intervention de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation laquelle, dans un arrêt du 8 juin 2022 (n°20-22.500), est venue enfin clarifier la position du législateur.


I – La fin d’un vide juridique concernant l’obligation de consulter les élus lorsque le Médecin du travail a lui-même prévu une impossibilité de reclassement

Dans son arrêt du 8 juin 2022 (n°20-22.500), la Chambre Sociale de la Cour de Cassation est venue préciser les dispositions de l’article L.1226-10 du Code du travail (prévoyant l’obligation de consultation des élus en matière de proposition de reclassement) et celles de l’article L.1226-12 (lesquelles offrent au Médecin du travail la possibilité de dispenser l’employeur de rechercher des solutions de reclassement).

La Cour de Cassation, pour la première fois, vient ainsi de préciser que lorsqu’une telle dispense était accordée par le Médecin du travail, l’employeur n’avait pas l’obligation de consulter les élus.

Même si de nombreux praticiens ont quelque peu anticipé cette décision, qui avait déjà été reprise par certaines Cour d’Appel, le principe de sécurité juridique imposait qu’une position claire et sans nuance soit enfin prise par la Cour de Cassation à ce sujet.

Cette réflexion est d’autant plus vraie qu’il s’agit en l’espèce d’un arrêt de cassation, la Cour d’Appel de CHAMBERY, dont la décision avait fait l’objet du pourvoi, ayant pour sa part disqualifié le bien fondé du licenciement pour inaptitude de la salariée, à raison, justement, d’un défaut de consultation des élus.


Il convient de relever que cette décision s’inscrit dans le seul contexte des inaptitudes découlant d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail (dénommées plus communément, dans le Code du travail, « inaptitudes professionnelles »).

Néanmoins, il ne fait nul doute que cette solution peut être transposée aux inaptitudes non professionnelles (ne découlant ni d’un accident du travail, ni d’une maladie professionnelle), le régime applicable étant par nature moins strict.

Il sera d’ailleurs relevé que les textes concernant ces deux types d’inaptitudes sont sensiblement rédigés dans les mêmes termes.


Certains se sont étonnés du temps pris par la Cour de Cassation, pour opérer cette clarification, alors que la loi réformant le régime de l’inaptitude est entrée en vigueur au mois d’août 2016.

Il sera néanmoins rappelé que dans cette espèce le litige est passé par tous les stades de la procédure, c’est à dire devant le Conseil de Prud’hommes, puis la Cour d’Appel de CHAMBERY.

Dans cette espèce, la salariée avait été licenciée au mois de novembre 2017.

Quoi qu’il en soit, si cette solution a le mérite désormais d’exister, il est néanmoins désolant que la jurisprudence soit contrainte d’attendre la dernière étape d’un contentieux pour trancher une question qui, en réalité, dépasse largement les intérêts personnels de la salariée concernée.

Il convient d’ailleurs de relever que contrairement à d’autres sujets tout aussi sensibles (comme les « barèmes Macron »), la Cour de Cassation n’avait jamais été saisie de cette question pour simple avis.

En tout état de cause, cette décision a pour mérite de simplifier les procédures de licenciement pour inaptitude, dès lors que le Médecin du travail dispensera l’employeur de tenter de reclasser le salarié.

II – Une solution de bon sens allégeant le formalisme des procédures de licenciement pour inaptitude

Par sa décision du 8 juin 2022, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a ouvertement pris position en faveur d’un allégement des obligations de l’employeur en matière d’information / consultation des élus.

Ainsi, l’employeur est désormais protégé par la jurisprudence lorsque celui-ci décide de ne pas consulter les élus à la suite d’un avis d’inaptitude du Médecin du travail précisant que le salarié ne peut être reclassé dans son emploi, compte tenu de son état de santé.

Il s’agit là d’une solution de bon sens dans la mesure où la consultation des élus est censée porter non pas sur l’inaptitude du salarié, d’une manière générale, qui reste à la seule appréciation du Médecin du travail, mais sur les solutions de reclassement en elle-même.

Dès lors, consulter les élus, alors qu’aucune solution de reclassement ne peut être proposée au salarié, constitue une perte de temps préjudiciable à l’entreprise, laquelle ne pourra déclencher la procédure de licenciement sans avoir mené à bien la procédure d’information consultation.

Cette solution est également salutaire dans la mesure où elle replace le principe de la consultation des élus au centre de ce qu’il devait toujours être, à savoir la protection des intérêts des salariés dont le licenciement est inéluctable.

Ainsi, à quoi bon informer les élus dès lors que le déclenchement de la procédure de licenciement ne relève pas de l’appréciation de l’employeur, mais de celle du Médecin du travail.


Attention toutefois à ne pas confondre l’obstacle à tout reclassement reconnu par le Médecin du travail avec le reclassement impossible.

En effet, dans cette dernière hypothèse, l’impossibilité de reclassement découle de la situation même de l’entreprise dans laquelle aucun poste vacant ne correspondant aux préconisations du Médecin du travail.

Lorsque c’est l’employeur qui identifie cette impossibilité de reclassement, la consultation des élus demeure ainsi toujours obligatoire.

Pour cause, les élus vont justement devoir apprécier concrètement et se prononcer sur cette réalité avancée par l’entreprise.


Il ne reste plus dès lors à déplorer que cette solution provienne non pas du législateur, mais bien de la Cour de Cassation, qui en matière de droit du travail a toujours eu pour habitude de construire des solutions juridiques dans le silence de la loi.

Il n’en reste pas moins que l’arrêt du 8 juin 2022 demeure l’un des plus attendus de l’année judiciaire tant cette question avait fait couler beaucoup d’encre, et forcé l’ensemble des praticiens à faire preuve de prudence dans la mise en œuvre des procédures de licenciement pour inaptitude.


Cass, Soc. 8 juin 2022, n°20-22.500 : la Cour de Cassation précise pour la première fois que lorsque le Médecin du travail dispense expressément l’employeur, dans le cadre de l’avis d’inaptitude, de tenter de reclasser son salarié inapte, celui-ci n’est pas contraint de consulter le Comité Social et Economique (CSE).

Maître Bernard RINEAU

Maître Kévin CHARRIER

Décisions évoquées : Cass, Soc. 17 novembre 2021, n°20-14.848 ; Cons. Const. QPC du 19 novembre 2021, n°2021-947 ; Cass, Soc. 24 novembre 2021, n°20-20.962 ; Cass, Soc. 1er décembre 2021, n°19-25.715 ; Cass, Soc. 8 décembre 2021, n°20-15.798; Cass, Soc. 8 décembre 2021, n°19-22.810 ; Cass, Soc. 15 décembre 2021, n°21-40.021 ; Cass, Soc. 15 décembre 2021, n°20-18.782 ; CA d’AIX EN PROVENCE, 17 décembre 2021, n°RG 20/05338).

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Licenciement pour absence prolongée : l’indemnité de préavis est due lorsque le licenciement est reconnu comme étant sans cause réelle et sérieuse (Cass, Soc. 17 novembre 2021, n°20-14.848)

La question du paiement de l’indemnité compensatrice de préavis reste toujours délicate lorsque le salarié se trouve dans l’impossibilité d’exécuter cette période de préavis, notamment en raison de son état de santé.

En effet, lorsque le salarié est licencié pour inaptitude, ou pour absence prolongée troublant gravement le fonctionnement de l’entreprise, celui-ci se trouvant dans l’incapacité de travailler durant un préavis, pour une raison qui est totalement étrangère à l’employeur, il se voit alors privé de son indemnité compensatrice de préavis.

La solution se complexifie lorsque le licenciement est, par la suite, jugé comme étant dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.

Dans cette hypothèse, à l’instar du licenciement pour inaptitude, la Cour de Cassation vient de rappeler dans cet arrêt du 17 novembre 2021, concernant un licenciement pour absence prolongée troublant gravement le fonctionnement de l’entreprise, que l’indemnité compensatrice de préavis était due, en tout état de cause, du fait de la disqualification du bienfondé de la rupture du contrat de travail.

Cette solution, qui n’est pas nouvelle, appelle néanmoins certaines critiques en ce qu’elle se désolidarise de la réalité de la situation contractuelle.

Ainsi, pourquoi payer un préavis pour un salarié qui n’est pas en mesure de travailler, compte tenu de son état de santé ?

Rappelons que contrairement à l’indemnité de licenciement et à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité compensatrice de préavis est là pour compenser une décision de l’employeur de ne pas faire exécuter au salarié son préavis et non pour indemniser celui-ci du fait de la rupture de son contrat de travail.

La jurisprudence n’est visiblement pas de cet avis, consacrant alors l’indemnité compensatrice de préavis comme une indemnisation devenant automatique en cas de disqualification du bienfondé du licenciement.


Le Conseil Constitutionnel autorise les Cadres Dirigeants à voter aux élections professionnelles (Cons. Const. QPC du 19 novembre 2021, n°2021-947)

Le droit du travail a cette particularité de voir certains salariés assimilés à l’employeur, compte tenu de leurs fonctions et de leur pouvoir décisionnel.

Tel est le cas des Cadres Dirigeants, titulaires d’une délégation de pouvoir, qui bien que n’étant pas mandataires sociaux, représentent l’autorité à l’égard de la communauté de travail.

Compte tenu de cette situation, la jurisprudence de la Cour de Cassation interprétant restrictivement l’article L.2314-18 du Code du travail interdisait à ces représentants de l’employeur de voter aux élections professionnelles.

Ces jurisprudences considéraient ainsi que les représentants de l’employeur devaient être écartés du scrutin afin d’éviter que des candidats trop proches de la Direction ne puissent être élus et ainsi soutenir des décisions contraires à l’intérêt de la communauté des salariés.

Saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), le Conseil Constitutionnel a néanmoins jugé que cette interprétation était contraire au principe constitutionnel de participation des travailleurs.

Le Conseil a donc abrogé les dispositions critiquées et autorise désormais l’ensemble des salariés, quelle que soit leur position hiérarchique et les délégations de pouvoirs détenus, à voter aux élections professionnelles.

Cette décision va donc manifestement créer des situations ubuesques dans lesquelles les membres de la Direction des Ressources Humaines, amenés à représenter l’employeur dans le cadre de l’organisation des élections, pourront également voter dans le cadre de celles-ci.


Le syndicat qui signe le Protocole d’Accord Préélectoral (PAP) renonce à son droit de contester celui-ci en justice (Cass, Soc. 24 novembre 2021, n°20-20.962)

Le PAP est le document établi entre l’employeur et les organisations syndicales qui a vocation à organiser les élections professionnelles dans l’entreprise.

Par principe, ce PAP peut être contesté, devant le juge judiciaire, par toute organisation syndicale intéressée, lorsque celui-ci porte atteinte à des règles touchant à l’ordre public.

Dans cette hypothèse, le juge prononce alors l’annulation du PAP et des élections professionnelles qui en découlent.

La Cour de Cassation a néanmoins limité, par cet arrêt, le droit d’action des organisations syndicales.

Ainsi, lorsqu’un syndicat a signé le PAP ou a présenté des candidats, sans émettre de réserves, celui-ci ne peut désormais plus attaquer la validité du Protocole, même sur des questions touchant à l’ordre public.

Cet arrêt est sur le principe parfaitement cohérent. Ainsi, la Cour de Cassation entend mettre fin à une pratique syndicale consistant à signer le PAP, dans un premier temps, et à contester celui-ci, par la suite, dès lors que le résultat des élections ne serait pas satisfaisant.

Les organisations syndicales ne peuvent ainsi plus faire preuve d’opportunisme dans le cadre de l’organisation conjointe des élections professionnelles. Dans l’hypothèse où un syndicat constatera la violation des règles touchant à l’ordre public, il appartiendra à celui-ci de refuser de signer le PAP et d’émettre des réserves lors de la présentation des candidatures.

Il convient néanmoins de relever que cet arrêt peut être critiquable d’un point de vue moral, la Cour de Cassation admettant qu’un PAP contraire à l’ordre public puisse finalement produire ses effets, dès lors qu’aucun syndicat n’est autorisé à le contester.


La réintégration du salarié protégé, dont le licenciement a été annulé, est impossible lorsque celui-ci s’est rendu coupable d’actes de harcèlement moral (Cass, Soc. 1er décembre 2021, n°19-25.715)

Par cet arrêt, la Cour de Cassation a ouvert une nouvelle cause d’impossibilité de réintégration du salarié ayant vu son licenciement annulé.

Rappelons en principe que le salarié ayant fait l’objet d’un licenciement nul peut demander sa réintégration dans les effectifs de son ancienne entreprise.

Néanmoins, au fil des années, la jurisprudence est venue limiter ce principe de la réintégration en considérant que celle-ci pouvait être impossible dans certaines hypothèses.

Dans ce cas d’espèce, notons que le salarié s’était rendu coupable d’agissements constitutifs d’un harcèlement qui avait entrainé l’exercice d’un droit de retrait par les collaborateurs de son équipe.

Dans cette hypothèse, la Chambre Sociale est venue considérer que la réintégration de ce salarié était impossible, celle-ci pouvant exposer les autres collaborateurs de l’entreprise à un risque pour leur santé physique et mentale.

Il ressort ainsi que la jurisprudence entend faire primer l’obligation de sécurité de l’employeur sur le droit du salarié à être réintégré.

Cet arrêt nous rappelle les difficultés afférentes au licenciement des salariés protégés qui, pour certains, voient leur licenciement annulé pour des seules raisons de procédure, alors même que la faute qui en est à l’origine est incontestablement établie.

Dès lors, une fois encore, c’est souvent à l’employeur d’assumer les conséquences de cette annulation.

Cet arrêt a donc le mérite de protéger les intérêts des entreprises garantes de la sécurité de leurs salariés.


Gare au ton employé par les salariés lors des réunions (Cass, Soc. 8 décembre 2021, n°20-15.798)

Le monde du travail est source d’amitiés comme d’inimitiés qui donnent parfois lieu à certains abus dans l’exercice de la liberté de parole.

Ainsi, certains collègues de travail trop proches peuvent se permettre d’adopter, dans le cadre d’échanges formels ou informels, un ton parfaitement inapproprié qui peut constituer une faute susceptible de conduire à un licenciement.

Si la jurisprudence a consacré depuis plus de 30 ans le principe de la liberté d’expression du salarié, encore faut-il que cette liberté ne dérive pas en abus (injure, diffamation, etc..).

Dans le cas d’espèce, la Cour de Cassation a été saisie à la suite du licenciement pour faute grave d’un salarié qui s’était permis, au cours d’une réunion de travail, de demander à l’une de ses collègues, de nationalité italienne, comment se traduisait l’expression « lèche cul » en italien.

Si les propos sont incontestablement inélégants et grossiers, peuvent-il néanmoins conduire l’employeur à engager, à l’encontre de leur auteur, une procédure de licenciement pour faute grave ?

Pour la Cour de Cassation, ces propos ne relèvent pas de la simple maladresse : ils constituent ainsi un abus de liberté d’expression qui empêchait la poursuite du contrat de travail, même durant un préavis (autant dire un licenciement pour faute grave).

Bien que cette décision puisse paraitre empreinte d’une certaine sévérité, il est rappelé que la jurisprudence est attentive à la bonne tenue des relations entre les collègues, chaque salarié étant soumis à une stricte obligation de mesure dans l’exercice de sa liberté de parole.

Cet arrêt est d’autant plus intéressant qu’il vient sanctionner des propos tenus à l’égard d’un salarié n’étant nullement un supérieur hiérarchique, ni un subordonné.

Ainsi, l’obligation de courtoisie pèse également à l’égard des collègues du même niveau hiérarchique.


Attention à bien signifier ses conclusions d’appelant au défenseur syndical dans le délai de 3 mois fixé par l’article 911 du Code Procédure Civile (Cass, Soc. 8 décembre 2021, n°19-22.810)

Le droit du travail a cette particularité d’autoriser les défenseurs syndicaux à assister les parties, même devant la Cour d’Appel, devant laquelle les avocats sont censés avoir un strict monopole (dans toutes les autres matières du droit).

Pour organiser et concilier les obligations imposées aux parties devant la Cour d’Appel avec les règles du Code de Procédure Civile, lesquelles ne prévoient pas l’assistance des défenseurs syndicaux, l’article R.1461-1 du Code du travail prévoit que les avocats doivent impérativement agir envers ces derniers, dans le cadre des actes de procédure, dans les mêmes conditions que s’ils étaient eux-mêmes avocats.

Ce faisant, la Cour de Cassation considère dans cet arrêt que lorsqu’un défenseur syndical s’est constitué en défense devant la Cour d’Appel, l’appelant doit lui faire signifier ses conclusions dans le délai de 3 mois, comme il le ferait pour un avocat (en application de l’article 911 du Code de Procédure Civile).

A défaut, l’appel est nécessairement caduc, l’appelant perdant alors son droit d’action.

Cet arrêt vient également balayer la question épineuse de la proportionnalité de la sanction de la caducité de la déclaration d’appel en précisant que le fait d’enfermer les parties dans des délais stricts, en matière de communication de leurs conclusions, était nécessaire pour assurer l’efficacité des procédures d’appel.

Il ressort en réalité que la Cour de Cassation s’est refusé de mettre à mal le régime de la procédure d’appel, laquelle est marquée par des délais de plus en plus longs.

Le respect d’un strict calendrier devient alors un gage d’efficacité.

Force est néanmoins de constater que, depuis la mise en œuvre de cette procédure aux délais stricts, au 1er septembre 2017, les Cours d’Appel n’ont malheureusement pas accéléré la cadence, certaines affaires étant jugées plus de deux ans après l’ouverture de la procédure d’appel (à l’instar de la Cour d’Appel de RENNES).


La Cour de Cassation rejette une première QPC relative à l’obligation vaccinale des soignants (Cass, Soc. 15 décembre 2021, n°21-40.021)

Saisie pour la première fois, par le Conseil de Prud’hommes de TROYES, d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), relative à l’obligation vaccinale des soignants, la Cour de Cassation a refusé de transmettre la problématique au Conseil Constitutionnel pour que ce dernier se prononce sur la constitutionnalité de la loi du 5 août 2021.

Rappelons que les opposants à l’obligation vaccinale avaient fièrement obtenu du Conseil de Prud’hommes de TROYES, le 5 octobre 2021, que celui-ci suspende la mesure de suspension du contrat de travail d’un soignant, dans l’attente de la réponse du Conseil Constitutionnel.

Cette décision ne met néanmoins aucunement un terme au débat concernant la constitutionnalité de cette obligation vaccinale.

Ainsi, d’autres QPC, fondés sur d’autres motifs, ont été transmises par certains de Prud’hommes à la Cour de Cassation (notamment le Conseil de Prud’hommes de Saint Brieuc).

Il convient par ailleurs de relever que la QPC déposée était vouée à ne pas passer le filtre de la Cour de Cassation, tant sa motivation semblait clairement insuffisante.

En effet, la demande de censure des dispositions légales concernant l’obligation vaccinale était fondée sur une violation des engagements internationaux de la France, notamment l’interdiction faite aux Etats de priver les travailleurs d’une rémunération par différents artifices, dont la suspension arbitraire du contrat de travail.

Or, il est constant que si le Conseil Constitutionnel a le pouvoir de contrôler la conformité de la loi à la constitution, il ne peut en revanche opérer un contrôle de conformité des dispositions légales avec les engagements internationaux de la République Française.

Il reviendra alors à la Cour de Cassation de se pencher sur d’autres QPC fondées justement sur la violation des règles constitutionnelles, notamment des libertés fondamentales reconnues par la Constitution de la Vème République.


Les condamnations issues des barèmes Macron sont nécessairement prononcées en brut (Cass, Soc. 15 décembre 2021, n°20-18.782)

Pour la première fois, depuis son avis du 17 juillet 2019, la Cour de Cassation est venue rendre un arrêt concernant les barèmes Macron.

Contrairement à ce qu’une partie des praticiens ont pu en déduire, la Chambre Sociale ne s’est nullement prononcée sur la conformité de ces barèmes avec le droit international.

En effet, n’étant pas saisie de la question, la Cour ne pouvait rendre un arrêt en opportunité pour définitivement clôturer le débat épineux portant sur cette conformité.

En revanche, la Cour est venue censurer une Cour d’Appel qui avait cru bon de faire une application des barèmes bien particulière.

Il sera à ce titre rappelé que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est calculée en fonction du salaire du salarié et de son ancienneté dans l’entreprise.

Un salarié ayant 29 ans d’ancienneté est éligible à percevoir, au maximum, une indemnité de 20 mois de salaire.

En l’espèce, la Cour d’Appel de NANCY avait condamné un employeur à verser au salarié l’indemnité maximale prévue par l’article L.1235-3 du Code du travail (soit 20 mois de salaire).

Néanmoins, elle avait chiffré sa condamnation (soit 63.000 euros), en net.

Pour la Cour de Cassation, il n’existe aucun doute sur la nature des sommes allouées au titre de l’indemnité sans cause réelle et sérieuse : il s’agit nécessairement de sommes exprimées en brut.

Les 63.000 euros auxquels a été condamné l’employeur devaient donc être bruts et non nets.

Cette précision a son importance pour les condamnations dépassant 82.272 euros (soit deux plafonds annuels de sécurité sociale), car au-delà de cette somme, le montant sera soumis à cotisations sociales et CSG / CRDS.

Autrement dit, en condamnant un employeur à verser une somme nette, le juge aurait nécessairement mis à la seule charge de l’employeur le paiement des cotisations évoquées ci-dessus.

Une fois encore, la Cour de Cassation vient rappeler que dans le silence des textes, et notamment du Code du travail, une somme est toujours exprimée en brut.

Qu’on se le dise, il n’est donc pas nécessaire de préciser la nature des sommes demandées lors de la saisine d’un Conseil de Prud’hommes, le caractère brut étant sous-entendu.


La nullité d’une convention de forfait jours ne constitue pas une atteinte à l’intérêt collectif de la profession qui justifie l’intervention d’un syndicat (Cass, Soc. 15 décembre 2021, n°19-18.226)

Les Organisations Syndicales disposent d’un droit propre à agir, aux côtés d’un salarié, contre un employeur, devant les juridictions, en défense de l’intérêt collectif de la profession.

Cette action consiste à faire reconnaitre que les atteintes portées au droit du salarié victime des agissements de son employeur constituent également une atteinte à toute la profession, et ainsi obtenir le paiement de dommages et intérêts au profit du syndicat.

Tel est le cas par exemple lorsqu’un salarié protégé est licencié sans autorisation de l’inspection du travail.

Dans le cas d’espèce, une organisation syndicale avait invoqué l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession contre un employeur qui appliquait des conventions de forfait jours entachées de nullités.

La Cour de Cassation a néanmoins jugé que ces faits ne constituaient pas une atteinte à l’intérêt collectif, mais seulement à l’intérêt individuel du salarié concerné.

Cet arrêt a le mérite de limiter la capacité à agir des organisations syndicales dans le cadre des litiges individuels.

Ainsi, tout manquement de l’employeur à l’encontre de ses salariés ne saurait en soit constituer une atteinte à l’intérêt collectif.

La Cour de Cassation précise néanmoins que si le syndicat ne peut solliciter le versement de dommages et intérêts du fait de ces manquements, il pouvait en revanche demander aux tribunaux d’enjoindre l’employeur à ne plus appliquer de telles conventions illicites.

Cette décision rappelle donc aux Organisations Syndicales que la défense des intérêts des salariés ne passe pas seulement par la condamnation des employeurs à indemniser ces dernières par l’intermédiaire du versement de dommages et intérêts.

La Cour entend donc limiter la pratique constituant pour les syndicats à vouloir systématiquement invoquer l’atteinte à l’intérêt collectif afin de renflouer leur trésorerie.


Quand l’URSSAF se trompe sur les mots dans le cadre de son avis de contrôle, aucun redressement ne peut être opéré à l’encontre du cotisant (CA d’AIX EN PROVENCE, 17 décembre 2021, n°RG 20/05338)

Cet arrêt illustre parfaitement le formalisme strict auquel est soumis l’URSSAF, dans le cadre de ses procédures de contrôle.

L’article R.243-59 du Code de la Sécurité Sociale impose ainsi à la caisse de notifier au cotisant, préalablement à un contrôle, un avis de contrôle dans lequel il doit notamment être impérativement rappelé que ce dernier peut se faire assister par le conseil de son choix dans le cadre des opérations.

La notion de « conseil » englobe généralement les avocats, mais aussi les experts comptables et les juristes.

Dans le cas d’espèce, l’URSSAF a fait preuve d’une certaine maladresse en limitant cette notion de conseil aux seuls experts comptables.

Ainsi, l’avis de contrôle précisait au cotisant que celui-ci pouvait se faire assister par « le comptable de son choix ».

Cette limitation dans le choix du conseil constitue pour la Cour d’Appel d’AIX EN PROVENCE une violation manifeste des dispositions de l’article R.243-59 du Code de la Sécurité Sociale qui cause un grief au cotisant qui n’a, susceptiblement, pas été en mesure de bénéficier des conseils d’un professionnel qualifié, à l’instar des avocats et juristes.

Il s’agit donc d’une atteinte aux droits de la défense qui rend le contrôle opéré illicite.

Dès lors, le redressement effectué à la suite du contrôle doit être annulé. 

Cet arrêt nous rappelle que l’URSSAF, malgré une procédure bien rodée, n’est pas à l’abri d’une bourde manifeste.

L’entreprise doit ainsi toujours faire preuve d’une vigilance accrue quant au respect par l’URSSAF de ses obligations.

Kévin CHARRIER, Avocat

Bernard RINEAU, Avocat associé

Parmi les objectifs que se fixe le droit des entreprises en difficulté figure celui d’éviter la curée. La curée est cette cérémonie clôturant la chasse, au cours de laquelle, pour récompenser les chiens, on livre à ceux-ci les restes de l’animal pris, créant ainsi un bruyant tohu-bohu dont les meilleurs quadrupèdes, c’est-à-dire les plus forts, ressortent généralement repus, ayant abandonné aux plus faibles quelques ossements décharnés, s’il en restait encore.

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Quand une entreprise traverse des difficultés telles qu’elle n’est plus en mesure de faire face à ses créanciers, ou menace de ne plus l’être, une véritable tension se crée, qui peut la conduire à sa perte.

Pour le dirigeant, ses créanciers ou ses débiteurs, le spectacle d’une entreprise qui se meurt peut, en générant la crainte de pertes financières ou, à l’inverse, en attisant l’espérance de profits opportuns, engendrer nombre d’abus qu’il convient de canaliser.

La discipline collective et individuelle est alors de mise pour, autant que possible, permettre à certains de récupérer leur part, et éviter que d’autres ne s’arrogent celles des autres : de curée il ne saurait être question.

Le droit des procédures collectives (ou droit des entreprises en difficulté) prévoit un grand nombre de règles à cette fin, mais il peut être nécessaire de recourir au droit pénal, qui prévoit de nombreuses infractions et peines pour réprimer les abus.

On l’a vu dans un article précédent[1], la période de difficulté que traverse l’entreprise peut être le siège de l’infraction bien connue de banqueroute, si le dirigeant conduit volontairement son entreprise à la faillite, évitant ainsi de payer ses créanciers.

Cependant, la loi érige également de nombreux autres comportements en infractions pénales[2], qui peuvent être commises par le dirigeant (désigné sous le vocable de « débiteur » puisqu’on considère qu’il a des dettes qu’il ne peut plus payer), par des tiers en relation avec le débiteur, par des créanciers, ou par des auxiliaires de justice.

Il conviendra d’examiner ces quatre séries d’infractions, étant précisé qu’il sera fait renvoi à l’article sur la banqueroute pour la détermination des personnes pouvant être qualifiées de « débiteur », ou banqueroutier.

1. Les infractions commises par le dirigeant (ou débiteur)

Sont punis des peines prévues pour la banqueroute[3] les comportements suivants, commis par les dirigeants :

  • passer un acte (consentir une hypothèque ou un nantissement, faire un acte de disposition) ou payer une dette née antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, ou sans l’autorisation du juge-commissaire[4] ;
  • effectuer un paiement en violation des modalités de règlement du passif prévues au plan de continuation, ou aliéner un bien aliénable sans l’autorisation du tribunal[5] ;
  • détourner ou dissimuler de mauvaise foi, même sous le nom d’autrui ou un nom supposé, tout ou partie de ses biens, la tentative étant incriminée ;
  • se reconnaître débiteur de fausses dettes.

2. Les infractions commises par les tiers en relation avec le débiteur

Certains délits – y compris la banqueroute – ne peuvent être commis qu’avec l’aide d’un tiers de mauvaise foi, lequel, outre des poursuites pour complicité de l’infraction principale, sera passible des peines de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, pour les infractions autonomes consistant dans le fait de :

  • passer avec le débiteur un des actes qui lui sont interdits (acte de disposition étranger à la gestion courante, hypothèque, gage, nantissement, sans l’autorisation du juge-commissaire), en connaissance de la situation de celui-ci ;
  • recevoir un paiement de dette irrégulier, non conforme au mode de règlement du passif prévu par le plan ;
  • céder ou acheter un bien rendu inaliénable en application de l’article L. 642-10 du code de commerce ;
  • soustraire, receler ou dissimuler tout ou partie du patrimoine mobilier ou immobilier du débiteur soumis à une procédure de redressement ou de liquidation, y compris le fait d’omettre frauduleusement de déclarer des biens du débiteur, dans le but de soustraire à la masse de la faillite des biens lui appartenant (Cass. crim., 11 février 1959, bull. crim. n°96) ;
  • déclarer frauduleusement des créances fictives antérieures au jugement d’ouverture de la procédure, soit en son nom, soit par interposition de personne.

3. Les infractions commises par le créancier

La loi punit des peines prévues pour l’abus de confiance[6] le fait, pour un créancier, de passer avec le débiteur ou un tiers agissant pour son compte, une convention comportant un avantage particulier à la charge du débiteur, postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective.

Si cette convention a été passée avant l’ouverture de la procédure avec le débiteur en état de cessation des paiements, ce texte ne sera pas applicable, mais le créancier pourrait toutefois être poursuivi pour complicité de banqueroute.

L’intérêt de cette incrimination est de dissuader certains créanciers, qui peuvent être réunis en comités, de promettre au débiteur de voter une résolution dans son intérêt, en échange d’un avantage particulier.

Les juridictions répressives peuvent, en outre, prononcer la nullité d’une telle convention.

4. Les infractions commises par les auxiliaires de justice

On appelle « organes de la procédure » les différents professionnels qui interviennent pour gérer, de façon ordonnée et juste, la période de difficulté traversée par l’entreprise, dans l’objectif d’apurer le passif, poursuivre l’activité et maintenir les emplois.

Tribunal de commerce, juge-commissaire, ministère public, mandataire judiciaire (qui peut devenir commissaire à l’exécution du plan et/ou mandataire liquidateur), administrateur judiciaire, contrôleur(s) : tous jouent un rôle bien précis pour tenter de parvenir à ces trois objectifs.

Parmi ces différents organes, les délits envisagés ici[7] s’appliquent à ceux d’entre eux qui sont auxiliaires de justice, c’est-à-dire désignés par le juge-commissaire : administrateur, mandataire judiciaire, liquidateur ou commissaire à l’exécution du plan, y compris toute personne désignée en application de l’article L812-2[8].

Il s’agit des délits suivants :

  • malversation, quand l’auxiliaire porte volontairement atteinte aux intérêts des créanciers ou du débiteur soit en utilisant à son profit des sommes perçues dans l’accomplissement de sa mission, soit en se faisant attribuer des avantages qu’il savait n’être pas dus ;
  • acquisition ou usage des biens du débiteur, quand l’auxiliaire de justice fait usage de ses pouvoirs dans son intérêt, usage qu’il savait contraire aux intérêts des créanciers ou du débiteur.

Leurs peines sont celles qui sont prévues pour le délit d’abus de confiance aggravé, à l’article 314-2 du code pénal[9].

Jean-Eloi de BRUNHOFF, Avocat

Bernard RINEAU, Avocat associé


[1] A l’exception des peines complémentaires de l’article L. 654-5 du code de commerce, de la faillite personnelle et de l’interdiction de gérer, soit les peines de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

[2] Autorisation prévue à l’article L. 622-7 du code de commerce.

[3] Article L. 626-14 du code de commerce.

[4] Les infractions pénales relatives aux entreprises en difficulté (I) : la banqueroute

[5] Principalement prévues aux articles L654-8 à L654-15 du code de commerce.

[6] Trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

[7] Article L654-12 du code de commerce.

[8] Le tribunal peut, après avis du procureur de la République, désigner comme mandataire judiciaire une personne physique justifiant d’une expérience ou d’une qualification particulière et remplissant des conditions fixées, ainsi que tout huissier de justice ou commissaire-priseur en qualité de liquidateur dans certains cas.

[9] Sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.

Le droit du travail est guidé par un certain nombre de principes fondamentaux qui font office de garanties aux salariés, lorsque ces derniers sont confrontés au risque de perte de leur emploi ou de leur rémunération.

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« La démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais la protection des minorités » (Albert CAMUS).

Le droit du travail est guidé par un certain nombre de principes fondamentaux qui font office de garanties aux salariés, lorsque ces derniers sont confrontés au risque de perte de leur emploi ou de leur rémunération.

Ces principes fondamentaux occupent une place encore plus importante en matière disciplinaire.

On relèvera ainsi que tout salarié faisant l’objet d’une procédure de rupture de son contrat de travail pour faute, ou d’une sanction disciplinaire, se voit offrir la capacité de pouvoir s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, dans le cadre d’un entretien préalable (Articles L.1232-3 et L.1332-2 du Code du travail).

Dès lors que l’avenir de son contrat de travail est menacé, le salarié fautif doit ainsi être en mesure de donner sa version à l’employeur et permettre à ce dernier d’apprécier différemment la situation – afin, le cas échéant, de permettre éventuellement d’éviter la sanction.

Le principe du contradictoire dans le cadre de la procédure disciplinaire avait d’ailleurs été édifié comme une composante essentielle du respect des droits de la défense du salarié par la Cour d’Appel de Paris, laquelle avait jugé, le 7 mai 2014 (avant d’être censurée par la Cour de Cassation), que l’employeur était dans l’obligation de faire connaître à celui-ci les faits reprochés dès le stade de la convocation, c’est-à-dire avant même l’entretien préalable (CA de PARIS, 7 mai 2014, n°12/02642).

Le salarié faisant l’objet d’une sanction se voit également garantir le droit de ne pas se voir imposer une suspension de son contrat de travail et de sa rémunération pour une durée indéterminée : toute suspension du contrat doit donc nécessairement être limitée dans le temps.

Tel est le cas notamment lorsque le salarié fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire, laquelle doit être strictement encadrée et limitée dans sa durée, au sein du règlement intérieur (Cass, Soc. 26 octobre 2010, n°09-42.740).

De même, la mise à pied conservatoire (laquelle permet à l’employeur de suspendre le contrat de travail d’un salarié et sa rémunération dans l’attente de l’aboutissement d’une procédure de licenciement) est, elle aussi, limitée dans le temps.

Elle ne pourra ainsi s’étendre au-delà de la durée maximale des procédures de licenciement, et en tout état de cause, être maintenue pour une durée excessive et abusive (Cass, Soc. 14 septembre 2016, n°14-22.225).

Enfin, dernière garantie (et non des moindres) : à la suite d’une procédure de licenciement disciplinaire, le salarié a la possibilité de voir sa rémunération prise en charge par la collectivité, quel que soit le degré de la faute commise (même en cas de faute grave ou de faute lourde).

Toute rupture du contrat de travail, intervenue à l’initiative de l’employeur, donne ainsi droit (sous réserve d’une durée de cotisation suffisante) à la prise en charge par l’assurance chômage ou, dans le cas contraire, au Revenu de Solidarité Active (RSA).

Aucun salarié ne peut ainsi être privé de revenus, que ce soit sous forme d’un salaire durant l’exécution du contrat de travail, d’un revenu de remplacement, ou d’allocations sociales, à la rupture dudit contrat.

Cette doctrine constitue l’un des piliers de l’Etat providence, garantissant à chaque individu un minimum de ressources pour subsister et conserver une certaine dignité.

Il convient d’ailleurs de noter que ces garanties ont été, jusqu’à peu, étendues à toute situation de suspension du contrat de travail (maladie, congé maternité, congé parental, etc…).

C’est ce corpus de droits et de garanties que la loi du 5 août 2021 (loi n°2021-1040 relative à la gestion de la crise sanitaire), laquelle institue l’obligation vaccinale des personnels soignants, est venue mettre à mal : elle impose en effet aux employeurs de suspendre automatiquement le contrat de travail des salariés non vaccinés, pour une durée indéterminée et sans maintien de leur rémunération.

Elle a ainsi conduit au placement brutal d’un certain nombre de salariés dans une situation de précarité sans précédent – ce que précisément le corpus juridique précédemment rappelé permettait d’éviter.

Pourtant, le salarié ne respectant pas l’obligation vaccinale aurait très bien pu se voir offrir les garanties de la procédure disciplinaire, tant cette mesure apparait juridiquement comme une sanction qui ne dit pas son nom (I).

Le législateur aurait pu également prévoir d’offrir à ces salariés une « porte de sortie », notamment en donnant à ces derniers la possibilité de se voir accorder une rupture de leur contrat de travail avec une prise en charge par l’assurance chômage (II.).

Las, le Gouvernement aura finalement préféré revenir sur cette dernière idée, pourtant évoquée dans le cadre du premier projet de loi, et ainsi placer une partie du personnel soignant dans une situation d’incertitude et de blocage.

I – Une suspension « sui generis » du contrat de travail qui revêt un caractère disciplinaire

L’article 14 de la loi du 5 août 2021 a créé un régime « sui generis » de suspension automatique du contrat de travail, à destination du personnel soignant n’ayant pas satisfait à l’obligation vaccinale.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 15 septembre 2021, pour les salariés n’ayant pas reçu une première dose de vaccin, et le 15 octobre 2021 pour l’ensemble des soignants n’apportant pas la preuve d’un schéma vaccinal complet.

Les fonctionnaires ne sont pas évoqués dans le cadre du présent article : mais ils sont également concernés.

S’il existe certaines exceptions mineures permettant d’échapper à cette obligation vaccinale (certificat de rétablissement au COVID 19 ou contre-indication à la vaccination), la grande majorité des soignants non vaccinés ont fait l’objet d’une suspension de leur contrat de travail.

Il convient de noter que c’est la première fois qu’un dispositif légal prévoit la suspension d’un contrat de travail d’un salarié contre sa volonté, et ce alors qu’il n’a commis aucune faute disciplinaire et qu’il se trouve en pleine capacité physique et mentale d’exécuter ses missions.

Il ressort en réalité que ce dispositif de suspension du contrat de travail peut largement être comparé à une sanction disciplinaire dans la mesure où c’est bien le comportement du salarié ayant refusé la vaccination, pour les raisons qui lui appartiennent, qui est à l’origine de la mesure.

En effet, sur ce point, il est certain que c’est le non-respect d’une obligation qui entraine la suspension-sanction.

En outre, il est constant que le législateur, sans émettre aucune réserve, n’a cessé de marteler que les soignants récalcitrants avaient bien violé une règle d’ordre morale, parlant à tout va d’une « obligation vaccinale ».

C’est d’ailleurs ce qui différencie le soignant des autres salariés, parfois soumis eux même à des contraintes (par exemple dans le secteur de la restauration) – mais qui, de leur côté, disposent d’alternatives à la vaccination (notamment les tests).

Dans la mesure où il n’existe pas d’obligation sans sanction, la nature disciplinaire de la suspension est difficilement contestable.

C’est d’ailleurs ce qu’avait décidé la Cour de cassation, il y a quelques années, en autorisant le licenciement pour faute d’un salarié ayant refusé de se faire vacciner (Cass, Soc. 11 juillet 2012, n°10-27.888).

Il est à ce titre tout à fait intéressant de rapprocher cette affaire de la situation actuelle, dans la mesure où le salarié avait très justement refusé la vaccination contre l’hépatite B, en raison d’une crainte des effets secondaires et notamment de développer la sclérose en plaques.

De fait, la Cour de cassation avait été plus courageuse que le législateur, en assumant pleinement la qualification fautive du refus de vaccination.

Et pourtant, cette qualification a toute son importance en ce qu’elle aurait pu permettre aux soignants suspendus d’obtenir des garanties qui ne leur ont nullement été offertes dans le cadre des dispositions de la loi du 5 août 2021.

En premier lieu, si la suspension du contrat de travail avait été qualifiable de sanction disciplinaire, le salarié non vacciné aurait alors dû être convoqué à un entretien préalable, au cours duquel il aurait disposé de la possibilité d’échanger avec son employeur sur les raisons expliquant son refus de vaccination – et, le cas échéant, de la possibilité de le convaincre de le maintenir à un poste plus adapté.

Par ailleurs, dans l’hypothèse du traitement du refus de vaccination comme une faute, l’employeur retrouverait pleinement son autonomie et pourrait ainsi refuser de sanctionner son salarié, au nom du principe de la personnalisation des sanctions disciplinaires.

On comprend dès lors tout l’intérêt de cette suspension « sui generis », laquelle ne semble avoir pour seul objectif que de rendre automatique la cessation du contrat de travail, en dépit des considérations élémentaires qui doivent entrer en ligne de compte en matière disciplinaire (soit, notamment : la bonne foi du salarié, les bons états de service, ou encore le respect des droits et libertés fondamentales).

En second lieu, il est constant que si cette suspension avait été qualifiée juridiquement de sanction disciplinaire, elle n’aurait pas pu être fixée pour une durée indéterminée.

Le sujet est donc éminemment politique, et nullement juridique.

Il convient à cet égard de noter que le Conseil Constitutionnel n’ayant pas été saisi sur ce point par le Gouvernement et les parlementaires, il n’a pas pu opérer de contrôle a priori sur la qualification juridique de cette suspension du contrat de travail.

Fort heureusement, deux Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) ont depuis été transmises par les Conseils de Prud’hommes de TROYES et SAINT BRIEUC, de sorte qu’une position sera nécessairement donnée dans les prochains mois.

II – L’impasse juridique découlant de la suspension du contrat de travail

Au-delà même du débat portant sur le caractère disciplinaire de la suspension du contrat de travail des salariés soumis à l’obligation vaccinale, on relèvera que cette mesure pose un certain nombre de difficultés relatives à la situation juridique du salarié suspendu.

Ainsi, cette suspension s’avère être une véritable « zone de non droits » pour les salariés, condamnés à demeurer sans traitement pour une durée indéterminée, tout en restant par ailleurs liés à leur employeur…

Et, de fait, en refusant la possibilité de prévoir le licenciement du salarié non vacciné sous contrat à durée indéterminée (solution financièrement acceptable pour le salarié du fait de sa prise en charge par l’assurance chômage, à hauteur de 57 % du revenu antérieur), les dispositions de la loi du 5 août 2021 cantonnent celui-ci à un double choix :  rester en poste dans les conditions ubuesques précitées, ou bien démissionner (cette démission le privant du bénéfice de l’assurance chômage).

Cette réalité se vérifie d’ailleurs en pratique, les employeurs refusant d’accorder à leurs salariés suspendus le bénéfice d’une rupture conventionnelle, lesquelles représentent pour eux un coût non négligeable.

Par les dispositions de la loi du 5 août 2021, le législateur a donc créé, au détriment des salariés, une véritable « prison contractuelle ».

Ce constat est d’autant plus vrai qu’aucune date limite n’a été fixée par le Gouvernement concernant la durée des suspensions contractuelles, de sorte qu’il est vraisemblable qu’en l’absence de censure de la part du Conseil Constitutionnel, celle-ci produira ses effets tant que le salarié ne se sera pas résigné à démissionner.

Il est d’ailleurs essentiel de préciser que peu d’employeurs auront le luxe de pouvoir licencier leurs salariés pour absence prolongée troublant gravement le fonctionnement de l’entreprise, cette catégorie de licenciement étant réservée aux cadres de direction, peu concernés par le refus de l’obligation vaccinale.


La loi du 5 août 2021 a mis également à mal un autre principe directeur du droit du travail, à savoir l’obligation de reclassement du salarié.

Hormis dans les structures mixtes, exerçant des activités non soumises à l’obligation vaccinale, force est de constater que l’employeur n’est nullement tenu de reclasser le salarié sur un poste dans le cadre duquel celui-ci n’aura pas de contacts avec les autres soignants ou les patients.

A l’issue de la période de crise sanitaire et des confinements successifs, il aurait été néanmoins judicieux de prévoir des possibilités de télétravail, notamment pour les salariés dont le poste permet ce mode d’exercice de la prestation de travail (notamment les salariés effectuant des tâches administratives).

Si l’employeur est tenu de reclasser son salarié licencié pour motif économique, ou en inaptitude professionnelle, tel ne sera donc pas le cas, ici, pour des salariés dont la présence était pourtant essentielle au bon fonctionnement des services…

C’est donc la politique du pire qui a été mise en œuvre, volontairement, par le Gouvernement, à savoir rester en poste, sans percevoir aucune forme de rémunération, ou démissionner au risque de se retrouver sans d’autres ressources que le RSA (565 euros pour une personne seule).

Compte tenu des constats en droit posés ci-avant, on ne peut que conclure que l’objectif du gouvernement aura été de vouloir faire céder les soignants en les touchant directement au portefeuille.


Néanmoins, sous la force de certains collectifs de professionnels du droit, des solutions d’urgence ont pu être dégagées, contraignant alors le Gouvernement à faire preuve d’une certaine souplesse.

Ainsi, le Ministère du travail a finalement été contraint de communiquer sur le sort des salariés soignants non vaccinés, en confirmant que ces derniers pouvaient travailler pour le compte d’un autre employeur, du fait de la suspension de leur contrat de travail.

Dans cette perspective, et sous réserve que le salarié retrouve un emploi pérenne, la démission de l’ancien poste peut alors devenir une porte de sortie.

Cette solution n’est néanmoins nullement satisfaisante, les soignants étant bien souvent cantonnés à leur seul domaine de compétence : s’ouvrent donc uniquement à eux des emplois précaires, sans qualification, et avec une rémunération moindre.

C’est malheureusement la réalité qui a pu être constatée.


Autre absurdité du système, le Ministère de la Santé et des solidarités a précisé, quant à lui, que les soignants suspendus pouvaient être placés en arrêt maladie et être pris en charge par la CPAM.

Loin de vouloir pour autant laisser les soignants sous la protection de la sécurité sociale, le Gouvernement précisera, dans les heures qui ont suivi cette annonce, que des contrôles seront organisés afin de vérifier le bien fondé de l’arrêt de travail.

Dernièrement, et afin de colmater les brèches, le gouvernement a communiqué sur l’éligibilité des salariés suspendus au RSA.

Il convient ainsi de s’interroger sur la pertinence des choix politiques utilisés au plus haut niveau de l’Etat, choix politiques qui se résument à faire peser sur l’aide sociale la prise en charge des salariés non vaccinés, au lieu de maintenir des dispositifs efficaces, notamment la mise en œuvre de tests réguliers sur les salariés – ou encore le reclassement dans des emplois sans contact avec le public.

Le dernier opus de l’état d’urgence sanitaire aura donc eu raison des principes fondamentaux du droit du travail.

Kévin CHARRIER, Avocat

François CHOMARD, Avocat