FOCUS SUR LE LICENCIEMENT VERBAL

« On a bien de la peine à rompre quand on ne s’aime plus » (La Rochefoucauld / Maximes).

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La notion de rupture, d’un point de vue général, et quel que soit le contexte dans lequel celle-ci intervient (amour, affaires, vie professionnelle), est souvent associée à celle de l’échec.

Si cette analyse est loin d’être contestée d’un point de vue factuel, le droit des contrats nous rappelle que la rupture ne constitue qu’un évènement permettant à des parties de cesser d’exécuter leurs obligations réciproques.

Il est d’ailleurs constant que dans un bon nombre de cas, la rupture peut s’opérer sans drame, notamment lorsque celle-ci a été prévue dès le départ, comme cela peut être le cas s’agissant des engagements à durée déterminée.

En matière contractuelle, la rupture implique un certain nombre d’obligations, notamment :

  • La nécessité pour la partie à l’initiative de celle-ci de respecter une procédure précise conditionnant sa validité ;
  • La justification de la légitimité de cette rupture par des éléments objectifs.  

D’une manière générale, le non-respect de ces obligations expose la partie à l’initiative de la rupture à un risque d’engagement de sa responsabilité contractuelle.

Cette analyse est transposable en droit du travail : la rupture du contrat de travail est conditionnée autant par le respect par les parties concernées d’une procédure stricte que par des motifs sérieux.

Dans le cadre de cette étude, il sera intéressant de se concentrer plus particulièrement sur la rupture du contrat de travail à durée indéterminée émanant de l’employeur, autrement dit, sur le licenciement.

Sur ce point, le Code du travail sépare bien la question de la légitimité du licenciement au regard de l’existence d’une cause réelle et sérieuse (article L.1232-1 du Code du travail) de la procédure permettant sa mise en œuvre, à savoir la nécessité d’adresser au salarié une lettre manuscrite recommandée avec accusé de réception (article L.1232-6 du Code du travail).

Même si, selon la jurisprudence, l’envoi d’un courrier simple ne prive pas le licenciement de sa cause réelle et sérieuse (le recommandé ne permettant que de prouver la date effective à laquelle intervient le licenciement – voir Cass, Soc. 29 septembre 2014, n°12-26.932), il est certain que l’employeur ne peut décemment se passer de l’envoi d’un écrit, ne serait-ce que pour indiquer précisément le, ou les motifs, justifiant la mesure

Sur ce postulat, il appartient à l’employeur d’être particulièrement vigilant et notamment de s’abstenir de licencier verbalement son salarié.

Il ressort que la jurisprudence entend appliquer strictement cette restriction, même lorsque la mesure est objectivement justifiée par une cause réelle et sérieuse (A.).

Cette même jurisprudence fait preuve d’une fermeté certaine à l’égard des licenciements verbaux en fermant la possibilité pour l’employeur de régulariser postérieurement la procédure par l’envoi d’une lettre de licenciement (B.).

A. La prohibition générale et inconditionnelle du licenciement verbal

Il est essentiel de préciser immédiatement que le fantasme du licenciement à l’américaine et plus particulièrement l’emploi du terme « You are fired » (vous êtes viré) n’a pas sa place en droit du travail français.

En effet, d’une manière générale et constante, la jurisprudence interdit toute forme de licenciement verbal (Cass, Soc. 23 juin 1998, n°96-41.688).

Sur ce constat, il est donc fermement déconseillé au chef d’entreprise, pris d’un coup de sang, d’indiquer oralement à son salarié qu’il va être licencié.

Si elle est prouvée, la sanction de ce type de comportement est ferme, le licenciement devra être considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Cette solution paraît parfaitement logique dans la mesure où le Code du travail impose à l’employeur de motiver par écrit la mesure de licenciement, laquelle va d’ailleurs fixer les limites du litige en cas de contestation devant le Conseil de Prud’hommes (article L.1232-6 du Code du travail).

Ce faisant, le licenciement verbal doit être considéré comme un licenciement non motivé et donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Si cette position peut paraître critiquable du point de vue de l’équité, notamment lorsqu’il existe des faits particulièrement graves qui viennent légitimer le licenciement du salarié, elle n’en reste pas moins juridiquement logique.

En outre, il sera ainsi rappelé que l’existence de faits objectifs ne suffit pas, à elle seule, à établir la cause réelle et sérieuse.

L’absence de notification d’une lettre de licenciement en bonne et due forme emporte également une autre conséquence néfaste pour l’employeur, à savoir une absence de forclusion pouvant affecter la future action du salarié en contestation de son licenciement (Cass, Soc.16 mars 2022, n°20-23.724).

Ainsi, pour la Cour de Cassation, l’absence de notification d’une lettre a pour effet de ne pas faire courir le délai de 12 mois offert au salarié pour saisir le Conseil de Prud’hommes.

Licencié verbalement, le salarié pourra donc, théoriquement, agir contre son employeur, plusieurs années après.

Ceci étant exposé, le piège du licenciement verbal semble facilement contournable pour tout chef d’entreprise conseillé à minima sur ses conséquences.

Cependant, cette considération n’est en réalité pas si évidente.

En effet, l’employeur peut parfois, sans le vouloir, licencier son salarié verbalement.

Il en est ainsi lorsqu’à la fin d’un entretien préalable, et alors même que le délai minimal pour notifier la rupture, de 48 heures franches, n’est pas encore échu, le chef d’entreprise annonce à son salarié que la mesure de licenciement lui sera bientôt notifiée, et que ledit salarié peut prouver les propos imprudemment tenus (notamment par l’intermédiaire du conseiller chargé de l’assister au cours de l’entretien).

C’est pour cette raison qu’il est systématiquement conseillé à l’employeur de clôturer l’entretien préalable par une formule faisant penser au salarié que la décision relative à la rupture de son contrat n’est pas encore prise.

Dans le même esprit, un licenciement verbal découle de l’annonce au salarié, lors de l’enclenchement de la procédure de licenciement, que l’issue sera nécessairement une rupture de son contrat de travail.

C’est d’ailleurs pour éviter cet écueil qu’il est conseillé d’indiquer dans la lettre de convocation à un entretien préalable que celui-ci est motivé par « une éventuelle mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à un licenciement ».

Le conditionnel protègera donc l’employeur pour la période qui précède l’envoi de la lettre de notification du licenciement.

Au fil des années, et de manière particulièrement sévère, la jurisprudence est venue multiplier le nombre de situations ou comportements pouvant être assimilables à un licenciement verbal.

Tel est notamment le cas lorsque l’employeur annonce à l’ensemble du personnel qu’un Directeur d’agence ne fait plus partie de l’entreprise, alors même qu’aucune lettre de licenciement n’a encore été adressée à ce dernier (Cass, Soc. 19 mars 2008, n°07-40.489).

Il en est de même lorsque le salarié est empêché d’accéder à l’entreprise alors qu’aucune mesure de mise à pied conservatoire ne lui a été notifiée (Cass, Soc. 29 octobre 1996, n°93-44.245).

Le comportement prouvé de l’employeur peut alors suffire à caractériser le licenciement verbal, même lorsque celui-ci n’a rien verbalisé.

Du point de vue du salarié ayant fait l’objet d’un licenciement verbal, un obstacle important va néanmoins souvent se dresser contre lui.

En effet, il lui sera bien souvent difficile de prouver un licenciement verbal, lequel, par nature, ne repose que sur des mots.

Ainsi, hormis les cas où l’employeur est enregistré, ou a manifesté le licenciement en public, ou sur un répondeur téléphonique, ou encore en présence d’un témoin, il sera difficile pour le salarié de démontrer la matérialité de celui-ci.

Cette difficulté probatoire ne doit néanmoins nullement pousser l’employeur à baisser la garde dans l’engagement d’une procédure de licenciement : comme il vous le sera détaillé, ci-après.

La jurisprudence considère que le licenciement verbal ne peut aucunement être régularisé par l’envoi ultérieur d’une lettre de licenciement.

B. L’impossibilité de régulariser postérieurement le licenciement verbal

L’employeur ayant malencontreusement procédé au licenciement verbal de son salarié, volontairement, ou par inadvertance, peut-il régulariser la procédure en adressant, postérieurement à celui-ci, une lettre de licenciement ?

A cette question, la jurisprudence a répondu, de manière constante, par la négative.

La Cour de Cassation est d’ailleurs venue fermer la porte à toute possibilité de régularisation, quand bien même l’employeur s’était astreint à organiser, après avoir licencié verbalement son salarié, un entretien préalable durant lequel il avait clairement indiqué à celui-ci que la décision de licenciement n’était finalement pas encore prise (Cass, Soc. 10 janvier 2017, n°15-13.007).

Si cette position peut paraître particulièrement sévère, elle n’en est pas moins parfaitement logique d’un point de vue juridique.

En effet, en droit du travail, rupture sur rupture ne vaut.

Autrement dit, dès lors que le licenciement verbal est notifié, celui-ci produit pleinement ses effets.

L’envoi postérieur d’une lettre de licenciement n’y changera rien : le licenciement d’un salarié déjà licencié n’a aucun sens.

De jurisprudence constante, quelle que soit sa forme, le licenciement est effectif au moment où l’employeur a manifesté son intention de licencier (Cass, Soc. 6 mai 2009, n°08-40.395).

Si cette manifestation a été verbale, elle devient pleinement effective au moment de la tenue des propos, qu’importe l’envoi postérieur d’une lettre de licenciement.

Dans un arrêt très récent du 3 avril 2024, la Cour de Cassation a de nouveau illustré son intransigeance vis-à-vis du licenciement verbal.

Dans les faits de l’espèce, un employeur avait mené de manière rigoureuse sa procédure de licenciement, en organisant un entretien préalable durant lequel il ne s’était pas positionné sur le futur licenciement.

Néanmoins, quelques jours plus tard, avec une certaine maladresse, mais par correction vis-à-vis du salarié, l’employeur avait pris soin d’appeler celui-ci, à l’issue de l’entretien préalable, pour l’informer que son licenciement pour faute grave allait être prochainement prononcé.

Cependant, dans cette affaire, la conversation s’était tenue le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement.

Pour la Cour de Cassation, dans la mesure où la lettre n’était pas encore postée, le licenciement était bien verbal.

L’absence de cause réelle et sérieuse a donc été reconnue (Cass, Soc. 3 avril 2024, n°23-10.931).

Pour sa défense, l’employeur avait pourtant invoqué sa bonne foi en précisant que l’annonce du futur licenciement n’avait pour seul but que de protéger le salarié d’une situation délicate, en l’empêchant de se rendre à une réunion à laquelle sa présence n’était plus justifiée.

Néanmoins, le souci de la civilité ne fait nullement partie des critères permettant de déroger au principe de prohibition des licenciements verbaux.

Dans une affaire similaire, une décision contraire a néanmoins été prise par la Cour de Cassation.

Mais dans ce second cas d’espèce, si l’employeur avait effectivement informé oralement son salarié de son licenciement, cette information s’était déroulée après l’envoi de la lettre de licenciement et avant sa réception effective par ce dernier (Cass, Soc. 6 mai 2009, n°08-40.395).

C’était donc la lettre de licenciement qui avait rompu le contrat en premier, et non l’annonce verbale de l’envoi de celle-ci.

Compte tenu de ces positions, il est donc conseillé aux employeurs souhaitant faire preuve d’une certaine élégance vis à vis de ses salariés faisant l’objet d’une procédure de licenciement, d’attendre le lendemain de l’envoi de la lettre pour les prévenir de la matérialité de la rupture de leur contrat.

La conduite d’une procédure de licenciement doit donc se faire avec prudence et retenue, sous peine d’être censurée ultérieurement par les juges.

Maître Bernard RINEAU

Avocat associé

Maître Kévin CHARRIER

Avocat chargé du pôle social