Modification de la mission de l’administrateur judiciaire : Attention au respect des droits fondamentaux du débiteur !

Cour d'appel d’Orléans, 9 juin 2022, n°107-22, 21/02692 Cour d'appel d’Orléans, 18 juillet 2022, n°124-22, 21/02689

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La désignation d’un administrateur judiciaire et ses missions

Dans le cadre d’une procédure collective, un ou plusieurs administrateurs judiciaires sont parfois désignés par le Tribunal pour assister, surveiller ou représenter le débiteur dans la gestion de son entreprise en difficulté.

En cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde (C. comm. art. L621-4), de redressement (C. comm., art. L631-9), ou de liquidation judiciaire avec maintien provisoire de l’activité (C. comm., art. L641-10), lorsque les seuils de 20 salariés et de 3 000 000 euros de chiffre d’affaires hors taxes sont dépassés,la nomination d’un administrateur judiciaire est obligatoire (C. comm. art. R621-11).

Dans le cadre d’une procédure de sauvegarde judiciaire, l’administrateur judiciaire est investi d’une mission de surveillance, ou bien d’assistance du débiteur dans la gestion de son entreprise (C. comm., art. L622-1).

Dans le cadre d’un redressement judiciaire, outre les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, l’administrateur judiciaire se voit confier, soit une mission d’assistance, soit une mission de représentation du débiteur (C. comm., art. L631-12).

La modification de la mission de l’administrateur judiciaire : rappel des règles

Au cours de la procédure, une modification de la mission initialement confiée à l’administrateur judiciaire peut intervenir :

  • En sauvegarde, ce changement peut être demandé par l’administrateur lui-même, le mandataire judiciaire ou le ministère public (C. comm., art. L622-1) ;
  • En redressement, l’administrateur, le mandataire judiciaire et le ministère public ont la faculté d’adresser une telle demande au Tribunal, lequel peut également se saisir d’office de la question (C. comm., art. L631-12 al. 4).

La modification de la mission de l’administrateur judiciaire intervenant, le plus souvent, dans le sens d’un renforcement de ses pouvoirs, au détriment de ceux du débiteur, une procédure protectrice des droits de ce dernier est instituée.

Celle-ci doit être scrupuleusement respectée, au risque de « tomber à l’eau ».

La demande de modification de la mission de l’administrateur judiciaire peut être formée par requête présentée devant le Tribunal ayant ouvert la procédure collective (C. comm., art. R622-1).

Avant de statuer, les observations du débiteur doivent impérativement être recueillies par la Tribunal, ainsi que celles de l’administrateur, du mandataire judiciaire et du ministère public lorsqu’ils ne sont pas auteurs de la demande.

Lorsque le Tribunal exerce son pouvoir d’office, il est impératif que l’une des deux modalités procédurales, ci-dessous exposées, soit respectée (C. comm., art. R631-3) :

  • Soit les parties ont été préalablement invitées à présenter leurs observations ;
  • Soit le greffe du Tribunal convoque le débiteur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à comparaître dans le délai fixé.

Ce n’est que dans le respect des modalités procédurales, ci-avant rappelées, que la modification de la mission d’un administrateur judiciaire peut être valablement décidée.

L’importance du respect des droits fondamentaux du débiteur : illustration

Par un arrêt du 9 juin 2022 (21/02692), suivi d’un deuxième arrêt du 18 juillet 2022 (21/02689), annulant les jugements par lesquels, à la suite d’une saisine irrégulière, le Tribunal de commerce d’Orléans avait converti la mission des coadministrateurs judiciaires en mission de représentation, la Cour d’appel d’Orléans a rappelé l’importance du respect des droits du débiteur.

Ces affaires concernent une société mère et sa société fille, à l’égard desquelles une procédure de redressement judiciaire avait été ouverte et deux coadministrateurs judiciaires désignés, avec mission d’assistance du débiteur.

Au cours de la période d’observation, pour chacune des deux sociétés, les coadministrateurs judiciaires ont déposé une requête en conversion de la procédure en liquidation judiciaire.

Par lettre recommandée du greffe du Tribunal de la procédure collective, la holding et la société fille ont chacune été convoquées à une audience ayant donc pour objet précis le maintien ou le renouvellement de la période d’observation, ainsi que l’éventuelle conversion de la procédure en liquidation.

La question de l’extension de la mission des coadministrateurs judiciaires n’était pas mentionnée dans les convocations.

Avant l’audience, les coadministrateurs judiciaires ont communiqué au dirigeant des sociétés débitrices la copie d’une note adressée au Juge-commissaire, au sein de laquelle il était notamment indiqué « Il appartiendra donc au tribunal de modifier la mission des co-administrateurs judiciaires et de désigner un expert pour les assister ».

Lors de l’audience, la question de la conversion de la procédure de la holding, puis de celle de la société fille, ont été successivement examinées.

Puis les coadministrateurs judiciaires ont oralement demandé la conversion de leur mission d’assistance en mission de représentation.

Le Tribunal de commerce d’Orléans a rejeté la demande de conversion des procédures de redressement en liquidation judiciaire, mais a modifié la mission des coadministrateurs judiciaires, pour leur confier une mission de représentation.

Or, au regard des mécanismes protecteurs à respecter, cette conversion ne pouvait pas intervenir, ce que la suite allait confirmer.

La société d’exploitation et la holding ont chacune interjeté appel en invitant la Cour d’appel d’Orléans à se prononcer sur l’importance du respect des droits fondamentaux du débiteur.

La Cour d’appel d’Orléans a jugé que la note adressée par les coadministrateurs judiciaires au Juge-commissaire, dont une copie a été communiquée au représentant légal du débiteur avant l’audience ayant pour objet la conversion de la procédure de redressement, ne pouvait s’analyser comme une requête en modification de leur mission saisissant valablement le Tribunal.

De plus, la demande des administrateurs judiciaires présentée oralement à l’audience n’étant pas prévue non plus comme mode de saisine valable du Tribunal, celle-ci ne pouvait pas pallier l’absence de requête.

Dès lors, en l’absence de saisine régulière avant l’audience, il ne pouvait qu’être considéré que le Tribunal s’était saisi d’office de la question, mais sans respect de l’une des deux modalités procédurales possibles, ci-avant exposées :

  • Aucune convocation à une audience portant sur la modification de la mission des administrateurs judiciaires, avec en annexe une note dans laquelle sont exposés les faits de nature à motiver l’exercice par le tribunal de son pouvoir d’office, n’a été envoyée à la société débitrice ;
  • Le débiteur n’a pas été préalablement invité à présenter ses observations.

En conséquence, il ne pouvait être valablement statué sur la question de la modification de la mission des coadministrateurs judiciaires.

Dans son arrêt rendu à l’égard de la société mère, la Cour d’appel d’Orléans a tenu à préciser que :

« Le fait qu’il ressorte du jugement que toutes les parties ont donné leur avis sur la demande d’extension de la mission des coadministrateurs, y compris [la dirigeante de la société débitrice] présente à l’audience, est également insuffisant pour établir le respect des dispositions de l’article R.631-3 du code de commerce ».

Pour la Cour, la procédure spécifique instituée par le code de commerce, protectrice des droits fondamentaux du débiteur, doit être strictement respectée.

A défaut, la modification de la mission des administrateurs judiciaires est illicite.

Ainsi, par les deux arrêts référencés, la Cour d’appel d’Orléans a annulé les jugements par lesquels le Tribunal de commerce avait converti la mission des coadministrateurs judiciaires en mission de représentation.

Les juges de la Cour d’appel d’Orléans ont précisé qu’à raison de l’irrégularité dont la saisine des premiers juges est entachée, l’appel était privé de tout effet dévolutif et la question de la conversion de la mission des coadministrateurs judiciaires ne pouvait donc pas être évoquée devant elle.

Sanctionnant une atteinte aux droits fondamentaux du débiteur, ces décisions invitent les professionnels et les Tribunaux à une grande vigilance dans une matières particulièrement sensible.

Bernard RINEAU, avocat associé

Maëlle NGUYEN-MUNOZ, avocat